En français, on a pris l’habitude d’appeler improprement dièze le symbole précédant les hashtags, ces trend-topics qui alimentent le débat médiatique. Mais on a aussi importé du nouchi, l’argot d’Abidjan, le mot djèze, qui se prononce pareil et qui veut dire affaire. À mi-chemin entre le bruit du monde et les mots des gens, cette nouvelle chronique trace sa route dans ce qui nous occupe.
Opéra militaire spécial à Odessa
C’est quoi les dièzes ?
Sueur fermentée
Culture anticipée
Laure Flandrin
« Vaut mieux en rire », dit-on quand on n’a pas les moyens de renverser un gouvernement. Et c’est vrai : d’après la chercheuse Laure Flandrin, le rire est à la fois un marqueur d’impuissance et un moyen de consolider des rapports de domination. De Funès, ça va bien, mais c’est quand même des films de droite. Malgré tout, il n’y a rien de plus honnête ou de plus spontané. Enquête sociologique « à hauteur de rieur ».
Mariana Enríquez
En 1995, Mariana Enríquez avait 22 ans et publiait un premier roman sauvage – une histoire de drogues, d’amour et d’autodestruction dans le Buenos Aires nocturne et débridé des années post-dictature. Des motifs qui n’ont jamais quitté son œuvre, mais qu’elle déplace au gré de ses livres, à la frontière de l’hyperréalisme, de l’horreur et du mysticisme. Journaliste, rédactrice en chef culture au quotidien de gauche Pagina 12, passionnée de football, de fandoms, de cimetières, de Nick Cave et de luttes féministes, Mariana Enríquez est comme le passe-muraille : sa littérature semble dotée d’une clairvoyance qui déshabille tous les tabous et fait parler les non-dits des sociétés latino-américaines. Après Notre part de nuit en 2021, roman monstre qui suit un jeune médium en lutte contre des forces occultes dans l’Argentine de la seconde moitié du XXe siècle, les Éditions du sous-sol poursuivent la traduction française de son œuvre avec la parution des Dangers de fumer au lit. Un recueil de douze nouvelles traversées par des adolescentes maléfiques, des femmes hantées par la disgrâce, des familles cernées par la peur et des enfants revenus des limbes. Glaçant et génial.
Mektoub My Love
Qui a vu Kechiche ? Aussi clivant qu’insaisissable, le cinéaste franco-tunisien se serait perdu dans la production de son grand œuvre, Mektoub My Love, long-métrage désormais étiré en une série de films qui ne voient jamais le jour. Intermezzo, le second volet, a fait scandale à Cannes en 2019. Depuis, les fans extrêmes fantasment un énième montage et manigancent des projections pirates. Tournage en immersion, postproduction chaotique : récit d’une quête donquichottesque comme l’industrie n’en permet plus.
Tiphaine Raffier
Fête de famille qui vire à l’ostracisme, tête-à-tête prolongé avec un pédocriminel, règlement de compte sur fond de surendettement paysan : Tiphaine Raffier attaque les zones aveugles de nos petits kits moraux sans faire la leçon. De son enfance passée aux portes du château Disney, elle garde un goût assumé pour la culture US et les décors en carton-pâte. Le succès de son spectacle-somme La réponse des Hommes (que le Covid a privé de Cour d’Honneur au festival d’Avignon 2020) a imposé son théâtre aux formes vastes, nourri de mythologie rurale, de littérature biblique et de science-fiction sentimentale. Une démesure qui tranche avec l’économie et la pudeur de sa parole.
Bertrand Bonello
Le Wu-Tang Clan au réveil. La clope électronique sur le banc de montage. Et le tennis, le soir à la télé. Bertrand Bonello termine un film, et tient le rythme. Plusieurs semaines d’un chantier de précision, à mi-chemin entre le doute et l’excitation. Comme le romancier reprend ses phrases ou le mécanicien règle un moteur. Il en tirera bientôt La Bête, le long métrage qui fera parler toute la croisette : Léa Seydoux dans un triptyque d’anticipation librement inspiré de Henry James, et marqué par la disparition tragique de Gaspard Ulliel. Un film phénix, un rescapé. Son 10e, qu’on aura du mal à classer dans une filmographie où s’enchaînent la fresque intimiste (L’Apollonide, 2011), le biopic hypnotique (Saint Laurent, 2014) et le cauchemar eschatologique (Nocturama, 2016), avant un teen-movie plein de fantasmes (Zombie Child, 2019) et une youtubeuse tout en énigmes (Coma, 2022). Alors, pour décortiquer ses images, Bertrand Bonello s’interroge sur ce qui les suscite. La solitude. La rêvasserie. Sa fille. Et la musique, du piano de l’enfance au hip-hop d’aujourd’hui.
Núria Güell
Désobéissance financière, mariage blanc, déchéance de nationalité : depuis 15 ans, Núria Güell joue avec les vides juridiques et les structures de l’autorité. Peu concernée par les affaires du monde de l'art, la performeuse catalane conçoit ses interventions comme des arguments politiques mais les active avant tout pour elle-même, à mille lieux des professions de foi sociale du jour.