Visage

Dans la série animée japonaise The Orbital Children, une intelligence artificielle (IA) nommée Sept, greffée à une comète pour survivre, ne parvient pas à distin- guer les humain·e·s de l’humanité. Elle pense que l’être humain et l’humanité sont deux êtres vivants distincts. Si elle comprend le concept d’humanité, elle n’accorde aucune importance aux êtres humains, qui doivent disparaître pour sauver l’humanité.

D’un point de vue formel, cette œuvre d’art corporel réduit l’illustration du soi à deux lignes qui encerclent chacune un œil pour souligner l’importance du regard dans une autoreprésentation émancipée. Cependant, cette interprétation est compliquée par une technique de marquage.

Francis Picabia fait paraître, en juillet 1915 dans la revue 291 (nos 5-6) de Stieglitz, « Portrait d’une jeune fille américaine dans l’état de nudité », un portrait mécanomorphe, en fait une bougie de moteur auto- mobile, avec cette inscription : « For-Ever » (Pour toujours). Comme l’écrit ensuite Paul Haviland dans 291 (nos 7-8), « [l]’homme a fait la machine à son image... Mais elle est encore fille mineure. L’homme lui a tout donné sauf la pensée ». Les choses changent avec l’ordinateur : nous ne pouvions avant imaginer un portrait numérique animé, ce qu’a commencé à réaliser Philippe Boisnard depuis 2017 avec IAdoll.

Quand le visage s'efface, dernières traces

À l’aube du printemps 2022, nous retirons progressivement nos masques. Utiles dans certaines conditions comme pour cacher une rougeur ou une expression trop vive, rébarbatifs la plupart du temps, car facteurs paralysant dans la relation à l’autre, ils mettent en exergue la substantifique moelle de nos faciès et nous poussent à interroger la notion d’identité. Grâce à l’ère du numérique, il nous est tout à fait possible de créer un double nanotechnique et de nous travestir en avatar, offrant au monde un visage virtuel basé sur l’autoconception. Cette dimension immatérielle désenclave-t-elle pour autant son ancrage dans la réalité ?

Les procédés d’identification qui se fondent priori- tairement sur le visage ne sont pas de simples actes anodins. Ils ne se limitent pas seulement au contrôle des individus. La pratique en soi est, dans une certaine mesure, le reflet d’un rapport au monde, la projection d’un discours sur l’être et son expansion, l’expression de batailles sibyllines entre les cultures.

Ceci n'est pas une critique

L’art est un jeu formel et clos dont nous sommes les spectateurs imprévisibles. Parfois ce jeu permet un débordement de la vie, cette vie qui fait irruption par des voix ou des silences, par des formes ou le vide, par des accidents ou encore l’enchantement. Certaines formes d’art nous font descendre dans la vie brute, d’autres nous soulèvent avec des mains magiques.