Ce numéro de Terrain rassemble les contributions d’auteurs qui s’intéressent à la manière dont les mouvements et les groupes qui se réclament ou s’inspirent de l’écologisme œuvrent aujourd’hui comme force de contestation et de proposition politique et sociale. Les rêves libertaires de contre-société se sont éloignés et l’écologisation de nos sociétés est en marche. Peut-on pour autant parler de la fin des grandes espérances ? C’est l’une des questions que pose ce numéro, en s’attachant à décrire comment les rapports aux lieux, aux milieux et au vivant sont mobilisés çà et là, et ouvrent toujours des horizons d’action et de transformation. L’écologisme apparaît à présent comme un monde échevelé et diversifié, particulièrement conflictuel, mais qui permet aussi de multiples formes d’arrangements avec le réel et qui de fait le transforme, en accommodant des mondes que l’on pensait irréconciliables.
L’imaginaire écologique
L’imaginaire écologique
L’Eglise Catholique et la cause de l’environnement
Depuis les années 1970, le magistère des papes a pris en compte la critique écologique et en a proposé une version compatible avec la tradition catholique. À ces déclarations, le Vatican n’a guère donné suite par un engagement efficace et cohérent. En Amérique latine cependant, où l’écologie et la cause des pauvres sont étroitement liées, la théologie de la libération et les « communautés de base » ont sérieusement abordé les problèmes environnementaux.
L’alternative écologique, vivre et travailler autrement
Cet article se fonde sur une soixantaine de récits de vie ayant pour thème « vivre et travailler autrement », autrement dit les « alternatives écologiques au quotidien ». Les entretiens révèlent qu’emprunter les chemins de traverse permettant de vivre de telles alternatives en zone rurale relève de tâtonnements et d’une conquête perpétuelle, très réfléchie, que l’on soit ou non issu d’une famille déjà engagée dans cette démarche ou vivant à la campagne. À rebours de l’utopie communautaire des années 1970, on fait par ailleurs le constat d’un mode de vie en réseau organisé à partir d’une vie de couple dans des maisons individuelles. La conversion du travail en art de vivre et en action collective visant le « bien vivre ensemble » constitue la trame de témoignages qui se présentent comme des expériences à portée de main, à partir du moment où saute l’obstacle (présenté comme idéologique, non seulement matériel) de l’accès à l’autoproduction. Cet article entend mettre en évidence le continuum entre travail domestique, labeur, oeuvre, activité professionnelle et militance, qui caractérise ces formes d’engagement écologique contemporaines.
Hymnes à la vie ?
Les animaux taxidermisés sont revenus à la mode. Les raisons de cet engouement sont multiples, allant de l’amour pour les sciences naturelles à la passion pour le « vintage ». En toile de fond, l’idéalisation du rapport à la nature (tout ce qui est naturel est beau, sain et moral) et la nostalgie pour un monde féerique où les bêtes et les hommes auraient vécu en harmonie. Si l’animal mort nous intéresse, c’est qu’il renvoie au vivant. Mais il nous intéresse aussi, et peut-être davantage, en tant que mort : un mort multifonctionnel qui, grâce aux avancées de l’éthologie, s’apparente de plus en plus à un être humain.
“Il y a un autre monde, mais il est dans celui-ci”
L’écologie, l’idée que nous devons protéger l’environnement contre nous-mêmes, n’est certes pas un mouvement récent. Cet article montre que les membres de la Société religieuse des Amis (ou quakers) de Grande- Bretagne font preuve depuis le milieu du xviie siècle, dans leurs croyances et leurs pratiques, d’une écologie avant la lettre. La première génération de quakers est une secte protestante très unie qui croit en un Dieu intérieur. Très critique à l’égard de la « mondanité » de l’Église et de l’État, elle instaure certaines pratiques qui privilégient et exemplifient un mode de vie simple. En adoptant cette façon de vivre, les quakers ont développé une foi et une pratique religieuses qui les a toujours obligés à prendre sérieusement en considération les tenants et aboutissants de la consommation, pensée comme une menace contre le monde naturel. Depuis quelques décennies, cette tendance s’intègre de plus en plus à une approche ouvertement politique des questions écologiques.
Utopies universalistes
Comment donne-t-on corps à une utopie ? La préparation de l’Exposition universelle qui s’est tenue au Japon, dans la banlieue de Nagoya, en 2005, est l’occasion de suivre le lent travail, à la fois conceptuel et matériel, au moyen duquel émerge une forme inédite de relations entre l’homme et la nature. Donnant la « redécouverte de la sagesse de la nature » comme nouveau métronome universel, les concepteurs de l’Expo 2005 et les architectes appelés à œuvrer au projet devaient entre autres sortir leur proposition de l’étau local dans lequel elle avait vu le jour, pour la porter à une autre échelle en la transformant en véritable alternative de développement pour les sociétés technicisées. C’est cet épineux parcours qui est suivi dans cet article, qui se concentre plus particulièrement sur les propositions architecturales destinées à faire de cette Expo 2005 la première Exposition universelle non moderne.
Les éoliennes : vertes et vertueuses ?
Les turbines éoliennes, qui sont devenues un élément industriel caractéristique des campagnes européennes, sont de plus en plus controversées. D’âpres batailles ont lieu localement au sujet de projets de parcs éoliens, et des alliances se nouent autour de cet enjeu entre des particuliers et des groupes, qui, bien que se référant à des systèmes de valeurs radicalement différents – pro et antiéoliens –, n’en appellent pas moins aux mêmes notions de « communauté locale » et de justice sociale. Cet article s’appuie sur des exemples britanniques pour montrer comment un secteur industriel de plus en plus riche et puissant est parvenu à manipuler le concept « vert » pour convaincre des partis politiques, le mouvement écologiste traditionnel et des organisations de sauvegarde de la nature que l’énergie éolienne était un impératif moral. Cette présomption a eu pour conséquence une politique d’aménagement du territoire encourageant la construction de turbines éoliennes, et étouffant le débat au niveau national.
Slow versus fast
En s’appuyant sur le travail ethnographique mené par l’auteur depuis 2006 sur le fonctionnement et les dynamiques politiques et économiques de Slow Food (en France d’abord et dans le quartier général en Italie ensuite), l’analyse porte sur l’articulation entre la dimension politique du mouvement, sa philosophie et ses actions dans le champ de l’écologie. Créé en Italie au milieu des années 1980, Slow Food est devenu en moins de vingt ans un mouvement international qui regroupe près de cent mille membres dans divers pays du monde. Au fil de son évolution, ses champs d’action et d’intervention se sont élargis et des nouvelles philosophies ont été élaborées. À partir de la dichotomie slow / fast, et en suivant ses transformations au fil du temps, le texte analyse les différents registres du temps mobilisés par Slow Food, leurs connexions avec le plan politique et économique ainsi que les imbrications et les tensions qui existent entre économie et écologie à l’intérieur du mouvement.
Isac Chiva, ethnologie et politique patrimoniale
La Mission du patrimoine ethnologique du ministère de la Culture naît, au début des années 1980, d’une opportunité partagée entre une politique et une discipline. La discipline, l’ethnologie de la France, manque à ce moment-là de lieux propres, dans les établissements d’enseignement supérieur comme dans ceux de recherche. Son objet, le « proche », fait par ailleurs discuter sa légitimité scientifique. La politique, installée à la direction du Patrimoine du ministère, entend quant à elle réguler des activités patrimoniales amateures, qui foisonnent alors. C’est à ce point de rencontre entre science et politique que se constitue le patrimoine ethnologique théorisé par Isac Chiva (1925- 2012), qui s’attache à le construire comme une notion. Chiva pratiqua pour ce faire une série d’opérations intellectuelles : rupture, dans son esprit sans doute épistémologique, avec les usages idéologiques du mot « patrimoine » ; insertion dans l’histoire de la discipline ; emprunts à d’autres disciplines telle la génétique des populations ; définition positive de la notion qu’il lie étroitement à la recherche. Du côté de la politique, ce projet disciplinaire servira de point d’appui contre une ethnologie dite « sauvage ».