Jean Morisset (1940-2024) est né sur les rives du fleuve, comme il se délectait de le rappeler, à une époque où la route 132 n’était pas déblayée l’hiver et que les pêches à l’anguille se succédaient sur la grève de Lauzon jusqu’à Montmagny ; en ces temps où il s’agissait de regarder le ciel pour connaître les prévisions météo- rologiques, « parce qu’on savait », alors que les marins de la vallée du Saint-Laurent voyageaient encore jusqu’aux îles Caraïbes et mouillaient dans les eaux du Pacifique pour gagner leur pain.
Hygiène de vie
Jean Morisset
Hygiène de vie
Que veut dire, aujourd’hui, « prendre soin de soi » ? Depuis plusieurs années, cette question accapare la sphère médiatique, où elle se décline sous la forme de publicités, d’articles, de blogues, de publications Instagram, de chaînes YouTube, de documentaires, de séries télé et de balados, sans parler des innom- brables ouvrages regroupés en librairie dans les sections « Santé et mieux-être », « Bien-être » ou « Croissance personnelle », lesquels nous enjoignent à toujours mieux gérer nos vies grâce à l’alimentation, à l’exercice physique, à la méditation, au yoga, à de saines habitudes de sommeil, à diverses formes de thérapie, aux soins corporels et esthétiques, etc. Au même moment, on voit se multiplier les analyses sociologiques et critiques qui, de façon souvent un peu simpliste, dénoncent la tyrannie de la culture du bien-être – comprise essentiel- lement comme un « syndrome » néolibéral, pour reprendre le titre d’un essai influent de Carl Cederström et André Spicer1 – et invitent à (re) politiser les pratiques du soin de soi (self-care) en y résistant ou en les subvertissant à des fins d’émancipation, comme le propose Camille Teste dans son récent livre, Politiser le bien-être2.
Manger Mai 68
« Il faut boire ses aliments et mâcher sa boisson. » Ce principe qui a baigné les repas de mon enfance était attribué à « maître Oshawa », le Japonais tenu par mes parents pour le fondateur de la macrobiotique, dont les règles gouvernaient l’alimentation familiale.
Méditations ménagères
Du roman de Siri Hustvedt Un été sans les hommes, dont j’aurais dû retenir les passages sur le processus de création soigneusement annotés, il m’est resté au fil des années une seule image. En pleine rupture d’un long mariage et, pour cette raison, souffrant d’une « bouffée délirante1 » dûment diagnostiquée, une femme – mère, universitaire et poète – au mi-temps de sa vie retourne dans son Minnesota natal afin d’y offrir à quelques adoles- centes un atelier de poésie. À peine entrée dans la maison qu’elle a louée, elle entreprend d’en faire un ménage de fond. Voici l’image :
Shavasana au musée pour brebis égarées
Il est désormais possible de faire du yoga au musée. De par le monde, des institutions artistiques aussi prestigieuses que le Louvre offrent en effet, depuis quelques années, des « séance[s] de relaxation » et d’éveil sensoriel qui conjuguent « la pratique du yoga et la découverte des œuvres » en promettant aux usager·ère·s un « moment de bien-être » unique, vécu dans un « lieu privilégié1 ». Selon le discours officiel véhiculé par les différents musées qui participent à cette nouvelle tendance de médiation « art et mieux-être »2, de telles activités permettraient, entre autres, de désintellectualiser l’expérience esthétique, de renouer avec une forme refoulée de sensibilité et de se reconnecter avec la beauté, tant intérieure qu’extérieure, en favorisant la contemplation lente induite par le mouvement.
Négocier l’excès
C’est l’heure de la respiration, c’est l’heure de l’expiration, c’est l’heure de la culture physique. L’heure de la coulée des hanches, l’heure du tour de taille, l’heure de la chasse au double menton, l’heure de la cheville, l’heure du poignet. [...] Allongée sur le plancher, ayant touché vingt- cinq fois la pointe de mes pieds pour rajeunir vingt-cinq fois avant ma vingt-cinquième année, je gloussais avec un sanglot dans la gorge.
Créations du désert
Un désinvestissement. L’image est fractale, celle de ramifications. Bronchioles, dentelle du corail, rameaux du végétal et divisions des artères, des veines, des nerfs. Une énergie vitale a d’abord déployé ces structures du désir, depuis les premiers temps de la vie, et maintenant se retire d’elles, pour la première fois, se rétracte vers ce qui n’arrive toutefois pas encore à faire centre ou noyau. Les structures restent là et se dessèchent de ne plus être irri- guées. Dans la sécheresse de l’état dépressif, cette énergie vitale – ou libido – n’est plus disponible, elle semble s’être évanouie.
Pourquoi une poétique féministe ?
Des femmes et du style. Pour un feminist gaze