France Théoret

Affronter la complexité

par Katrie Chagnon

Récemment, la ministre responsable de la Condition féminine, Martine Biron, a déclaré que l’intersectionnalité ne correspon- dait pas à la « vision du féminisme » défendue par la Coalition avenir Québec. Pire, du féminisme et de ses différents courants, et en particulier des mots employés pour désigner ceux-ci, il n’y aurait tout simplement pas lieu de discuter, selon elle, au risque de « s’enfarger » dans un débat termino- logique nuisible à l’action collective visant « l’égalité entre les hommes et les femmes, quelles que soient les femmes1 ». Si l’on doit à coup sûr s’inquiéter de la position prétendument « féministe » de l’actuel gouvernement du Québec, c’est non seulement parce qu’il refuse de reconnaître, en le nommant, l’effet conjugué, spécifique et avéré de multiples systèmes de discrimination, mais aussi parce que ce refus participe d’une dénégation ou d’un détournement, à des fins idéologiques, de la fonction politique du langage auquel le féminisme a pour- tant contribué à nous rendre sensibles. Or, comme l’a bien souligné Aurélie Lanctôt dans la foulée de cette controverse, chercher à « vide[r] les mots de leur teneur politique » relève, à cet égard, d’une attitude antiféministe2.

Jacques Brault, un souvenir

par Georges Leroux

J’avais 18 ans lorsque je rencontrai pour la première fois Jacques Brault. C’était lors de la rentrée universitaire de l’automne 1964, alors que, nouvellement inscrit à l’Institut d’études médiévales, je me trouvai dans sa classe, si on peut appeler ainsi notre petite cohorte, six ou sept étudiants, tout au plus, qui suivaient son cours « Esthétique médiévale ». Cette rencontre fut déterminante pour moi. Ce que recouvrait cet intitulé un peu abstrait, nous étions pour ainsi dire invités à l’inventorier avec lui. Ignorants de tout, nous ne connaissions pas le poète qui s’adressait à nous, et ne mesurions pas davantage tout ce que recouvrait sa passion pour le Moyen Âge. Bien sûr, il était d’abord question de poésie et de poétique, le corpus central étant formé par la geste arthurienne et la légende de Tristan, mais tout ce qui était relié de près ou de loin à ce vaste ensemble, qu’il s’agisse des poèmes transmis par les manuscrits ou de l’art des troubadours, Brault nous le présentait d’un seul tenant, un témoin en appelant un autre. On avait le sentiment de pénétrer à ses côtés dans la forêt de Brocéliande, où s’agitait à chaque tournant une foule de symboles mystérieux.

La joie de s’en aller

par Yvon Rivard

Depuis ton dernier départ en novembre, je te relis pour te retenir un peu de ce côté-ci du monde ; je te feuillette, novembre oblige, pour te suivre là où il n’y a plus de chemins, là où commence la joie. J’attends de toi ce que tous tes livres me donnent et que je perds sans cesse tant la tentation est grande de partir pour échapper aux nuages, à la fatigue, à l’attente. J’attends de toi ce que tu as appris des plus grands, dont Rilke que tu cites (Dans la nuit du poème, 2011) : l’art de « soutenir l’échange avec les lointains extrêmes, nous y liant jusqu’à ce que nous les sentions nous hâler ». « Mûrir, mourir », dis-tu. Oui, mais comment ne pas mourir trop tôt, comment mûrir sa mort ? C’est à ces questions que répondent ta vie et ton œuvre, ta vie comme une œuvre : « Où l’âme de la pensée perdue d’éloignement garde sa naïveté de vivre mémorante parfois le matin quand le vent a forci ne se lève pas tu attends tu attends et puis désir presque désert un rien gracile te met debout étonné de lumière » (Au bras des ombres, 1997).

Faire de l’art avec de l’arsenic

par Dalie Giroux, Amélie-Anne Mailhot

Deux grandes cheminées en béton s’élèvent et crachotent une fumée jaunâtre au-dessus d’énormes tuyaux de métal entortillés, de petits bâtiments empilés les uns par-dessus les autres, ceinturés par un chemin de fer qui apporte le minerai. La fonderie Horne domine la ville de Rouyn-Noranda.

Texte(s) au droit fil

par Arilys Jia, Sarah Yahyaoui

Je revendique le langage clair, aussi clair que possible, celui dont on garde le sens, le fil à la ligne. Celui-là rend possible l’intromission du je de l’autre.

Prendre le risque du sujet parlant

par Lisa Gauvin

Pour qualifier le parcours de France Théoret, les mots qui me viennent à l’esprit sont ceux de rigueur, de justesse et de discrétion. Il s’agit là d’une trajectoire déployée dans plusieurs genres, mais toujours empreinte d’une exigence de dévoilement des contraintes et contradictions liées aux enjeux mis en cause. Depuis ses premiers textes dans La Barre du jour jusqu’à son plus récent essai, l’écrivaine n’a cessé d’explorer les territoires du féminin dans un monde où, malgré la déferlante #MeToo, rien n’est encore vraiment acquis quant à la liberté des femmes à disposer de leur destin. Dès le début en effet, les paramètres sont identifiés : resserrement de l’angoisse, à la limite du dicible, turbulence intérieure, quête d’une autre rationalité et deuil de la totalité, cette totalité que d’autres nommeront absolu, à partir desquels elle construit son œuvre.

Transing France Théoret : une écriture dysphorique?

par Maxime Poirier-Lemelin

C’est par ces mots que débute Une voix pour Odile, la deuxième œuvre de France Théoret, publiée en 1978. « En écho je saigne j’ai mal au ventre j’ai un utérus malgré moi » est ma première note de lecture, en réponse à cet incipit. Mon corps, au sein duquel est ancrée ma lecture, me rappelait douloureusement, à ce moment précis, d’où je viens. Étrangement, et un peu malgré moi, cette lecture a résonné à plusieurs niveaux avec mon expérience queer et trans. Pourtant, je ne suis pas une femme et ne devrais donc pas me reconnaître au sein de cette œuvre, qui aborde le vécu des femmes prolétaires dans le contexte du Québec des années 1970. Ce sujet qui s’exprime par une fragmentation du corps et de la langue, dans un rapport torturé au langage, c’est moi. L’incipit d’Une voix pour Odile appelle, en miroir, une lecture subjective de son texte. Je lis d’où je viens. Je parle d’où je suis.

Il ne s’est jamais rien passé ou l’écriture du vide quotidien

par Marilyne Brick

Remarquable par le dénuement de sa prose, Une belle éducation est, contre toute première impression, un ouvrage complexe, recherché et subtil, qui relate la monotonie et le silence quotidiens d’une jeune fille particulièrement vive d’esprit. Lors de sa parution en 2006, cer- tains critiques l’ont comparé d’un point de vue thématique à Nous parlerons comme on écrit (1982), publié près de 25 ans plus tôt, en insistant toutefois sur la différence notable de son style. D’autres l’ont également lu à la lumière de Journal pour mémoire (1993), se souvenant de certaines scènes qui s’y trouvaient déjà. Une belle éducation est aussi le premier livre de ce qu’il est possible de considérer comme une trilogie, en prolongeant le tissage des récits qui caractérise l’œuvre de Théoret. Hôtel des quatre chemins (2011), paru cinq ans plus tard, met en scène la même narratrice, mais se concentre sur sa vie à l’hôtel Saint-Colomban, où elle déménage avec sa famille vers le milieu du premier roman, tandis que La zone grise (2013) peut, pour sa part, être compris comme une sorte d’apostille à celui-ci, puisque l’autrice y reprend certaines scènes, qu’elle accompagne d’illustrations des sculptures de Claire Aubin.

Les querelleurs de France Théoret

par Valérie Mailhot

Monologue à deux voix

Sur le féminisme de France Théoret

par Dalie Giroux

Le patriarcat n’est pas mort en Floride.

Les frontières du ventre

par Gabrielle Vigneault-Gendron

J’ai déniché ma copie de Nécessairement putain dans une boîte dédiée à de vieux numéros de poésie québécoise, à la librairie Le Port de tête, au début de l’hiver 2020. Cette année-là, je découvrais l’art de la poésie chez moi, en plein confinement. La solitude allait de pair avec mes explorations. Je m’aventurais sur ce terrain avec un sentiment d’imposture, mais il y avait aussi un vertige et un plaisir qui m’obligeaient à avancer plus loin. Nécessairement putain est le premier recueil que je me suis permis d’acheter sans qu’il me soit recom- mandé par autrui. Je le traversais quelques semaines plus tard, en patientant dans une salle d’attente.

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