Il y a en France 36 000 clochers et 90 000 facteurs. Depuis longtemps déjà les clochers s’ennuient le dimanche : ils sont comme dans la chanson de Johnny Halliday, abandonnés. Les facteurs aussi : bientôt ils n’auront plus de courrier à distribuer. Les gens ne s’écrivent plus. Le tweet et le texto ont gagné. C’est bien triste. Oh ce n’est pas que nous ayons un goût excessif pour les choses que le temps qui passe a épuisées et fanées. Comme le glaïeul et l’œillet qui ont disparu du paysage floral moderne, et c’est tant pis. Comme la mosette des cardinaux, cette petite cape posée sur les épaules et boutonnée à l’avant, vouée à la vitrine des musées, qui renaîtra peut-être entre les mains de quelque couturier, déposée comme une délicieuse tentation sur la poitrine des jeunes femmes…
Les lecteurs de romans ont-ils mauvais goût?
Le facteur ne sonnera plus deux fois
“Snowpiercer” de Bong Joon Ho
Prévoir des doudounes. En 2031, la terre sera un vaste désert mort et glacé. Tout ça parce que dix-huit ans plus tôt, des gouvernements inconscients ont utilisé un produit censé réduire le réchauffement climatique. Bravo les scientifiques. Résultat : les seuls rescapés de la catastrophe se sont réfugiés dans un train qui ne s’arrête jamais. Le progrès est un leurre. La preuve : dans les wagons, il y a toujours des classes. En queue, les gueux, enfermés, entassés, se nourrissant de plaquettes noires d’origine improbable. En tête, Wilford, le chef intouchable, qui comme Hugh Hefner, ne quitte pas son pyjama en soie. Entre les deux, voici une école, une boîte de nuit, un jardin, un aquarium, un bar à sushis.
Fabrice del Dongo chez Dracula
À l’heure des premiers craquements en Europe de l’Est, un étudiant londonien « choisit la Roumanie de Ceaucescu pour faire sa première expérience de la liberté », ou, plus crûment, « faire du tourisme chez les sous-développés pendant son année sabbatique ». Dans ce pays à bout de souffle, une minorité se goberge. La différence entre les révolutions et les dictatures qu’elles engendrent, c’est que dans celles-ci, les purs qui survivent se muent en opportunistes. Chargé de cours à l’université de Bucarest, notre ingénu découvre un univers irréel, mi-Orwell, mi-Kafka. Chacun espionne tout le monde, se livre à des luttes d’influence, à une corruption et un marché noir effrénés.
Prokofiev et Staline
De combien d’artistes le communisme a-t-il crevé les yeux ? La palme de l’aveuglement revient sans aucun doute à Serge Prokofiev. Si on ne compte plus les artistes et les écrivains qui ont fait du frotti-frotta avec le régime nazi pour continuer de produire, ils sont plutôt rares ceux qui ont renoncé à la liberté de créer et à la reconnaissance publique pour subir les diktats des sbires d’un dictateur. Je n’en connais aucun qui depuis la France ou les États-Unis est retourné dans l’Allemagne nazie. Là où Hitler a échoué, Staline a réussi. Serge Prokofiev, pianiste et compositeur reconnu entre les deux guerres à l’égal de Stravinsky, ce rival honni, est reparti en 1936 avec sa famille vivre à Moscou, à l’appel de Staline. Le « Mozart du XXe siècle » s’est jeté dans la gueule du loup pour ne plus jamais en sortir.
Seuls sont les indomptés
Vue et lue la polémique qui en a précédé la publication, on s’attendait au pire. À un tas de déjections sinistres. À un ressentiment exprimé avec la rage et la haine qui sont ses auxiliaires obligées. Et l’on a été, sinon stupéfait, surpris – après la lecture de “Toute la noirceur du monde” de Pierre Mérot. Donc certains éditeurs ou journalistes ne savent plus lire. Donc, entre une abjection énoncée et l’écrivain qui l’énonce, il n’y aurait pas de dissociation possible. Mais entre une « fleur du mal » et celui qui l’évoque, il y a parfois Baudelaire, non ? Ou Nietzsche : « Toutes les bonnes choses sont de puissants stimulants de la vie, et l’est même un bon livre écrit contre la vie. »
Valsez sifflards, c’est vingt-cinq balles par tête !
On se la croque souvent à propos de la Bourgogne, attendu que la région part en quenouille et que la gastro ne vaut plus une broque. Au pied des monts du Beaujolais, Chauffailles, pittoresque patelin au charisme de Bricorama, plutôt blèchard, abrite “L’assiette charolaise”, avec louchébem au rez-de-chaussée et mastic au premier. Il y a le buffet (bon et opulent), la tête de veau, la côte de veau, l’entrecôte XXL, le morceau du charolais… Ici, pas de name-dropping à la noix, c’est direct dans la bavette. Pas de Jacob Delafon pour les goguenots, on se cale les chocottes les doigts dans les dominos. Vous l’avez pigé, les références sont in ze assiette. On jacte pas, on becte. On se remplit la hotte, Tutur et Totor évoquent les avantages du nouveau Massey-Ferguson sur la maïeutique, Mémé la Brionnaise vous envoûte avec ses deux babas qui se gobergent au balcon. Bref, la smala Berchoux règne (papa, maman, la fille, le beau-fils…). Elle vous entortille le coco. Et pour la bigoille, valsez sifflards, c’est vingt-cinq balles par tête, brouille-ménage compris ! La fiesta.