Lundi Encore une orgie de littérature russe, tous azimuts. Dans l’ordre, Une chronique de famille de Sergueï Aksakov (traduction de Sylvie Luneau, décédée depuis), le tome II des mémoires d’Alexandre Herzen, dont le titre exact est Passé et méditations (traduction et notes passionnantes par Daria Olivier), puis Le Bon Vieux Temps par Mikhaïl Saltykov-Chtchedrine, traduit en 1997 par Luba Jurgenson, tout cela paru ces vingt dernières années à L’Âge d’homme. Entrecoupé de nouvelles de Tchekhov, lues un peu au hasard, pour rester dans l’ambiance. Quelle ambiance, au juste? Pour Aksakov et Saltykov, nous sommes, grosso modo, dans les années 1830-1850 : c’est-à-dire la Russie d’avant l’abolition du servage, vrai basculement dans ce qu’il faut bien appeler une « modernité » russe.
Il fait beau allons à Versailles
Aksakov, Herzen, Saltykov-Chtchedrine, Soljenitsyne, Werth, Frerejean, Jaccottet, Foucault…
Pour une nouvelle stratégie de croissance
Revue des Deux Mondes?–?Quatre ans après le G20 de Londres, dont l’objectif avait consisté à apporter une réponse concertée à la crise bancaire, financière et économique de 2007-2008, quel est le bilan des actions qui avaient alors été annoncées ?
Les nouvelles tendances de la mondialisation
Si peu de sociétés ont vécu longtemps dans l’isolement, les échanges conclus de gré ou de force avec l’étranger ont changé d’objet depuis l’origine des temps. La naissance du capitalisme doit ainsi beaucoup au commerce de longue distance qu’animaient les diasporas juive, syrienne, asiatique. Le sucre, le thé, le café, les épices, les bois tropicaux et les métaux précieux, le trafic des esclaves, les migrations plus ou moins volontaires formèrent la substance de ce commerce. À partir de 1860, la révolution industrielle élargit considérablement l’éventail des produits manufacturés exportables, ce qui, avec le libre-échange, les câbles sous-marins et la marine à vapeur, propulsa le commerce international au niveau de 9 % du produit mondial en 1913 (1), cependant que l’émigration européenne favorisa l’émergence du Nouveau Monde, qui devint ainsi un partenaire du Vieux Continent...
Amartya Sen, l’économiste philosophe
Amartya Sen est peut-être le plus atypique des économistes contemporains. Durant des décennies, il a été contesté par une grande partie de ses fellow economists. Dans les années cinquante et soixante, sa critique de la planification économique lui valut l’hostilité de ses collègues imprégnés de marxisme. Mais dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, la priorité qu’il accordait au développement économique jurait singulièrement avec la vogue d’un libéralisme débridé. Le président du comité Nobel prédit à cette époque que Sen n’aurait jamais le prix : il l’obtint en 1998 pour ses contributions à l’économie du bien-être, qui constituent la part la plus orthodoxe de ses travaux de recherche. Mais si Amartya Sen est devenu l’un des intellectuels les plus influents de notre temps, c’est grâce à son approche originale du développement économique ainsi qu’à l’accent qu’il met sur la dimension morale de l’analyse économique : l’un des principaux théoriciens de la croissance économique, Robert Solow, l’a qualifié de « conscience de notre profession » (1). Lors d’une conférence de presse qui se tint à l’Organisation des Nations unies au...
Névrose d’un correcteur
« La correction est plus qu’un métier : c’est une névrose. [...] Non, tout le monde n’est pas capable de cette “lecture angoissée”. Et il n’est absolument pas souhaitable que tout le monde en prenne une part. L’existence, au sein de la scène graphique, d’un buvard humain doté de caractéristiques psychologiques bizarres (folie de persécution, fatalisme, ironie désabusée, souci maniaque du détail), mais capable de prendre sur soi les erreurs que tous les autres sont humainement en droit de commettre, est un signe de santé de cette chaîne graphique… » Sophie Brissaud, « La lecture angoissée ou la mort du correcteur », Cahiers GUTenberg, n° 31, décembre 1998.
La péninsule d’Apchéron et le pétrole russe
À 20 ans, encouragé par son père, Calouste Gulbenkian part à Bakou pour une première prise de contact avec le monde du pétrole et enrichir sa formation. Un voyage passionnant sur les champs pétrolifères qui l’incite à rédiger cet article pour la Revue des Deux Mondes (dont nous publions ici un extrait) (voir la version publiée à l'origine en pdf ici). Il consignera également le récit de cette aventure dans un ouvrage intitulé la Transcaucasie et la Péninsule d’Apchéron. Souvenirs de voyage (Librairie Hachette, 1891).
Leibniz et le modèle français du jardin
L’évolution morphologique du jardin peut être comparée, en une certaine mesure, à celle de tout être organisé. Elle s’exprime dans le cours du temps par les transformations incessantes de formes libres en formes organisées qui, si l’on se transpose dans le domaine esthétique, correspondent pour les premières à un état de nature au sens large et pour les secondes, en Occident après la Renaissance, aux configurations équivalentes au jardin de style classique français auquel André Le Nôtre (1613-1700) a donné une ampleur inégalée. Un de ses grands principes était de réduire toute matière à l’unité en ne laissant subsister, par suppression des détails, que les lignes et les plans que l’œil et l’esprit puissent idéalement suivre et embrasser d’un coup. Par exemple, à Versailles, tout est ramené à un axe principal autour duquel tout s’ordonne : axes secondaires, canaux, bassins, allées et bosquets. Les arbres n’y jouent point le rôle de dispensateurs d’ombre, mais de portants, de décors qui canalisent le regard à l’infini, dans la nature. C’est, historiquement parlant, après ce moment d’extrême emprise qu’a surgi l’inéluctable réaction ou détente sinon relâchement, qui a fait que les formes revinrent à un certain état de liberté avec ce qu’on appelle le jardin paysager dit « à l’anglaise », devenu omniprésent à partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle...
Au pays de la Camorra
À une trentaine de kilomètres au nord de Naples, dans une des plaines les plus fertiles d’Europe, celle que les Romains qualifiaient de Campania Felix, se dresse le Versailles méconnu des Bourbons de Naples. On l’ignore souvent mais c’est la plus grande résidence royale du monde, bien plus vaste que le palais de Louis XIV qui lui a servi de modèle. Comme le notait ironiquement sir Harold Acton, historien des rois de Naples, et descendant du Premier ministre de Marie-Caroline et du célèbre historien libéral du XIXe siècle (1), « plus petite est la monarchie, plus grande est son palais ». Construite par le remarquable architecte Luigi Vanvitelli, au milieu du XVIIIe siècle, la Reggia di Caserta, littéralement « la résidence royale de Caserte », trône aujourd’hui au cœur d’une des régions les plus contaminées par le phénomène mafieux. Caserte est à quelques minutes de Capoue et de ses délices venimeuses..
Entretien - Musique et politique
Revue des Deux Mondes – Quelle a été la place de la musique à Versailles ? Pascal Vigneron – La musique à Versailles se décrit en trois phases : « Avant Versailles », « Pourquoi Versailles ? Qu’est-ce qui s’y est passé ? », et « Après Versailles ». On ne peut donc pas parler de Versailles et d’une seule musique. Bien évidemment, les points centraux sont Louis XIV et Louis XV. Bien avant, dans l’ancienne monarchie, avec Henri IV nous avions une musique calculée, modale, comme celle de Claude Le Jeune. Puis arrive François Couperin dit « le Grand », organiste du roi à Saint-Gervais. Il compose, selon moi, la plus belle œuvre qui existe pour la voix : les Leçons de ténèbres pour le mercredi saint (sur le Livre de Jérémie) écrite pour les gens de Port-Royal (jansénistes de l’Église catholique), donc extrêmement dénudée. On était encore dans la philosophie et dans les...
“Il fait beau, allons à Versailles”
Avec le château de Versailles, qui porte en lui un monde et une civilisation, chacun entretient un lien mouvementé où l’admiration se mêle à l’ennui, la volupté à l’indifférence, la nostalgie au dénigrement. La parenthèse versaillaise de l’histoire de France soulève tant d’interrogations que s’impose un détour par les Yvelines afin d’explorer à nouveau les méandres du roman national...
Entretien - La renaissance d’Angélique
Chaque été ou presque, les téléspectateurs français savourent leurs retrouvailles avec Michèle Mercier et Robert Hossein, qui prêtèrent leurs traits aux héros d’Angélique, marquise des anges : Angélique de Sancé de Monteloup et Joffrey de Peyrac. La popularité des cinq films réalisés entre 1964 et 1968 par Bernard Borderie ne s’est jamais démentie. Mais parmi ceux qui, année après année, dégustent avec un brin de culpabilité cette sucrerie cinématographique teintée d’érotisme, combien savent qu’Angélique est une série de romans historiques dont il n’est pas excessif de dire qu’elle a marqué plusieurs générations, à l’égal de l’œuvre d’Alexandre Dumas ? Et combien soupçonnent que son auteur, Anne Golon, a connu une destinée presque aussi mouvementée que celle de son héroïne ?...
Ombres et lumières
La Grande Galerie – ou, comme on le dit depuis le XIXe siècle, la galerie des Glaces – est d’abord le résultat d’un compromis esthétique : simple terrasse recouverte en 1678, pour faciliter le passage des appartements du roi à ceux de la reine, flanquée, quelques années après son achèvement, de deux salons, l’un sur le thème de la guerre l’autre sur celui de la paix, elle acquit très vite un statut particulier dans l’ensemble à haute portée allégorique qu’était le château voulu par Louis XIV. Elle offrait d’abord une particularité technique, celle d’être totalement dépourvue d’ornements sur son long côté intérieur, ornements remplacés par, face à dix-sept fenêtres cintrées, dix-sept arcades panneautées de dix-sept vastes miroirs où le reflet du ciel créait l’illusion d’une nouvelle série de croisées. De fait, le décor était ainsi repoussé par l’architecte Jules Hardouin-Mansart vers la voûte, où dut s’exercer, dans une série de grands tableaux, le talent de son rival Charles Le Brun. Mais le peintre n’eut aucune liberté de création puisque, avec son équipe de peintres et de sculpteurs, il travailla sous l’étroite surveillance du roi, ainsi que de la pointilleuse Petite Académie que Colbert avait chargée, depuis 1663, de veiller sur les inscriptions dédiées au monarque...
Entretien - Le miroir de tous les fantasmes
Ne lui parlez pas de bon goût français ; ne transformez pas le Grand Siècle en règne de la mesure, du beau et de l’équilibre ; gardez-vous de réduire le baroque à une science du tordu et le classique à une philosophie du droit ; ne faites pas de Le Nôtre la figure exemplaire et mythique de Versailles ; en un mot, évitez les truismes ou il entrera dans une très saine colère ! Alexandre Gady compte parmi ces historiens de l’art irrités à l’écoute de tous les discours réducteurs qui, si séduisants soient-ils par leur aspect bref et limpide, n’en restent pas moins des moules caricaturaux. Or que devient la réflexion dans l’univers figé du stéréotype ? La pensée ne se loge-t-elle pas dans l’ouvert et l’immobile ? Alexandre Gady condamne les reconstructions historiques selon nos imaginaires : ses travaux cherchent avant tout l’exactitude et la pertinence. Versailles, la fabrique d’un chef-d’œuvre (1) illustre cette quête de l’authentique : à partir de documents anciens et uniquement à partir d’eux, le livre passe le château aux rayons X et nous révèle les multiples mémoires qui se chevauchent sans jamais s’annuler. Versailles ne se résume pas à la présence d’un seul homme ; les jardins, le parc, l’édifice ont été façonnés au fil des siècles. Considérer le domaine d’un seul bloc reviendrait à nourrir une illusion aussi fausse que dangereuse : au lieu d’écraser la chronologie, le professeur d’histoire de l’architecture moderne à Paris-IV Sorbonne déroule la frise du temps et raconte avec force détails des épisodes mal connus. André Le Nôtre, Louis-Philippe, Pierre de Nolhac, IIIe République, construction, déconstruction, reconstruction : l’aventure versaillaise devient extrêmement vivante et savoureuse à l’écoute d’un homme drôle, dynamique, passionné et d’une profonde érudition. Aurélie Julia
François Furet, dernier historien français
Les Chemins de la mélancolie, l’ouvrage que Christophe Prochasson consacre à François Furet, dépasse le cadre de la simple biographie intellectuelle. Son objet indirect, presque caché, n’est rien moins que l’évolution de la vie intellectuelle et politique en France des années cinquante à la fin du siècle, dont la vie de l’historien fournit comme un prisme. Plus profondément encore, le livre, comme l’œuvre de Furet elle-même, interroge le rapport de l’historien à la vérité, ou plutôt à ces vérités particulières, problématiques, que sont celle du temps où il vécut et celle que sa discipline s’imagine produire...
Carlo Ossola ou la trajectoire de l’intime
Je caresse le rêve que la dernière grande aspiration ardente de l’Occident, la Sagrada Familia, trouve sa forme la plus durable et sa gloire dans l’inachevé et dans l’ouvert : “Là où le ciel te forme en harmonie, / quand tu te dévoileras dans l’air clair” (Dante, Purgatoire, XXXI) ». L’épilogue du Continent intérieur renvoie à la photo placée en page de couverture : Carlo Ossola a choisi une magnifique rosace en pierre ouvrant sur un ciel bleu immaculé. La légende indique « Abbaye de San Galgano », soit une abbaye cistercienne, construite en Toscane aux XIIe-XIIIe siècles, aujourd’hui sans toit ni voûte. Texte et image se font écho en appelant tous deux à regarder vers l’azur, vers le céleste et l’infini car là se situent l’élan et l’espoir...
La revanche de la France périphérique
Trente ans après l’Invention de la France (Gallimard, 1981), Hervé Le Bras et Emmanuel Todd continuent à radioscoper la France et à en dévoiler les mystères. Le moindre n’est pas que la période de formidable croissance économique des « trente glorieuses » fut paradoxalement une période de grande stabilité sociale alors que la période de ralentissement sinon de crise économique des « trente piteuses » se caractérise au contraire par une accélération du changement social...
Émile Boutmy, père de Sciences Po
Le livre comble une lacune. Malgré l’importance de la création par Émile Boutmy de l’École libre des sciences politiques, en 1872, aucune biographie de lui n’avait jamais été consacrée. François et Renaud Leblond, qui descendent de son frère cadet Henri – et qui sont eux-mêmes diplômés de Sciences Po – ont puisé dans les archives, dans les bibliothèques, des textes aujourd’hui introuvables. Ils ont consulté des sites Internet et de nombreux ouvrages parlant de lui, afin de mieux le connaître. Mais leur source principale fut la découverte, dans le grenier de leur maison de famille, de trois malles jamais ouvertes contenant de multiples papiers personnels rassemblés au moment de son décès et trois manuscrits inédits, écrits quelques mois avant la création de l’école, essentiels pour comprendre les raisons de son succès...