La restauration est inscrite dans l’œuvre d’Octavien dès ses premiers pas politiques. Une fois passée la réaction violente à l’assassinat de César, une fois le triumvirat avec Antoine et Lépide formé pour fonder, c’est-à-dire restaurer, la République, Octavien s’attèle à cette tâche. Restaurer signifie ramener le régime politique d’avant la guerre civile, celui du temps de Cicéron, César et Pompée. Rapidement, à mesure que son pouvoir s’affirme, Octavien commence à mettre en actes son titre et tout ce qu’il implique. La restauration doit porter sur la totalité des parties de l’édifice que les Romains appellent «?République?», sur les institutions aussi bien que sur la vie politique et les obligations religieuses. Alors que la remise en marche des institutions et de la vie politique nécessite du temps, car elle est compliquée, ne fût-ce que par le nombre de personnes qu’elle met en cause et la résistance qu’elles peuvent opposer, la réforme religieuse est plus simple à réaliser?:?il suffit de disposer de suffisamment de moyens financiers et de volonté. L’opération a en outre le grand avantage de se faire rapidement, d’être consensuelle et de démontrer sans tarder, dès la victoire définitive d’Octavien en 30 avant notre ère, le sérieux de ses intentions.
Auguste et la religion romaine
Comment restaurer une religion?
Auguste, héritier d’une religion outragée
Souvent exaltée par les historiens anciens et modernes, l’œuvre religieuse d’Auguste ne peut être saisie dans toute sa portée sans examen préalable de l’état de la religion romaine au Ier siècle avant notre ère. C’est en effet une religion en souffrance qui fut laissée en legs au Principat, non pas défunte comme on a pu le dire, mais indéniablement meurtrie, à l’image de la cité romaine telle qu’elle sortit du chaos des guerres civiles.
Auguste et la religion ancestrale
Pour définir la politique religieuse d’Auguste, les historiens ont eu tendance à s’appuyer sur un passage de l’historien latin Suétone qui, dans sa biographie, réunit commodément les principales mesures religieuses prises par le prince (Vies des douze Césars, Auguste, 31). Sa présentation, qui obéit aux impératifs du genre, est biaisée et partielle, mais elle révèle en creux la façon dont était conçue l’action du prince à l’égard de la religion traditionnelle et les enjeux politiques qui la sous-tendaient.
Le travail des érudits et des poètes
Dans son œuvre de restauration des valeurs traditionnelles, ambition avouée de son principat, Auguste a été constamment accompagné par le travail des érudits et des poètes. La distinction entre ces deux catégories d’écrivains n’est pas toujours simple dans la littérature gréco-romaine : les Géorgiques de Virgile se présentent comme un traité d’agriculture en forme de poème, les Fastes d’Ovide sont un calendrier en vers. Elle est néanmoins pertinente dans la mesure où érudits et poètes n’ont pas joué le même rôle dans l’accompagnement des réformes religieuses du princeps.
Les responsabilités religieuses à Rome
Pour aborder les responsabilités religieuses dans la Rome antique, il importe de se défaire d’un a priori lié au modèle inconscient que représente la religion chrétienne : les fonctions religieuses romaines ne reposent pas uniquement – loin s’en faut – entre les mains d’un clergé hiérarchisé. Toute personne investie d’une forme de pouvoir exerce nécessairement une responsabilité religieuse et, inversement, tout responsable religieux possède un certain pouvoir. Octavien/Auguste le savait bien, qui porta toujours le plus grand intérêt à cette question.
L’écho architectural des réformes religieuses à Rome
En plaçant l’impietas à l’origine de la colère des dieux, donc des guerres civiles, Octavien faisait du retour à l’antique piété la condition même de la restauration étatique, ainsi qu’un pilier de sa propre légitimité et de la condamnation de ses prédécesseurs. Rétablir la religion traditionnelle, c’était restaurer les pratiques rituelles mais surtout relever les temples de l’Vrbs dont la préservation garantissait en retour la stabilité de l’État. Dans un contexte de réparation de la religion traditionnelle, le volet architectural de la réforme, inséparable du gigantesque programme de rénovation urbaine, ne pouvait manquer d’en constituer un des signes les plus tangibles. L’intervention directe du prince, qui finança en grande partie restaurations et nouvelles fondations, fut décisive et soigneusement orchestrée. L’une des clés de lecture du langage augustéen de l’architecture réside dans la contradiction, qui n’est qu’apparente, entre l’ampleur de l’œuvre architecturale et le conservatisme affiché de la restauration.
Le reflet architectural de la réforme religieuse en Italie
Les textes des antiquaires et des érudits gravitant autour d’Auguste font largement écho aux entreprises de restauration religieuse menées par le prince. Ils privilégient Rome comme vitrine éclatante de ces efforts visant à refonder la religion publique?; fêtes, prêtrises et temples de l’Vrbs bénéficient d’un investissement visible et particulièrement lisible dans les sources dont disposent aujourd’hui les historiens. Pourtant, de nombreux indices signalent que l’action d’Auguste ne s’est pas arrêtée aux portes de Rome. L’Italie fut elle aussi le terrain d’opérations religieuses liées à son vaste programme de résurrection des institutions républicaines.
Des échos de la réforme dans les provinces orientales?
C’est en Orient, sur les bords de la mer Ionienne d’abord, à Actium, puis à Alexandrie d’Égypte où il a poursuivi Antoine et Cléopâtre, qu’Octavien devient maître du pouvoir romain. Le surnom d’Augustus que lui confère le sénat le 16 janvier 27 manifeste la primauté du princeps, nouveau fondateur. Le monde romain sur lequel, pendant une quarantaine d’années, il va régner (même si le système institutionnel républicain demeure) n’est pas centralisé en termes de composantes politico-administratives, et encore moins sur le plan religieux. En Méditerranée orientale tout spécialement, c’est à-dire dans les pays de langue grecque, les peuples variés, avec leurs traditions religieuses propres, se gouvernent au sein de cités depuis la période hellénistique, et l’uniformisation de la gestion des provinces orientales n’a pas fait disparaître les identités religieuses locales. Aussi n’entend-on que des échos indirects des réformes religieuses réalisées par Auguste dans les colonies romaines fondées par le princeps et à travers les honneurs divins qui lui sont rendus. Mais l’image d’homme pieux qu’Auguste s’est construite et la traduction monumentale qu’il lui a donnée à Rome et en Italie n’a pas manqué d’influencer des réalisations dans les grandes cités orientales et de susciter une émulation chez des potentats orientaux désormais contraints de souffrir la suzeraineté du maître romain.
Des honneurs dignes d’un dieu
La littérature moderne parle fréquemment de l’élaboration d’un culte impérial à l’époque d’Auguste. Pourtant, un tel usage semble en contradiction avec les institutions religieuses républicaines dont le prince se voulait le garant. Comment comprendre alors les innovations religieuses dans le culte public autour de la personne de l’empereur? En la matière comme en d’autres, l’usage des mots est parfois trompeur et il faut veiller à toujours bien situer le contexte pour restituer le sens des pratiques.