Les régimes islamiques

Pouvoir et Etat dans l’Islam

par William Zartman

Il n'y a pas d'idée de l'Etat dans l'Islam, car certaines fonctions de l'Etat sont entre les mains de Dieu, soustraites à tout jamais aux mains des croyants de la terre. Il y a une seule Communauté (umma) des croyants, unis par le contrat de soumission (Islam) qu'ils ont fait entre eux-mêmes en tant qu'individus et Dieu. Généralement, il est admis que la Communauté puisse se subdiviser en entités politiques à cause des exigences de la géographie, des communications, ou de l'histoire nationale (Quran, 49 : 13). Mais cette entité politique n'a ni personnalité morale ni statut légal, et ni le Quran, ni la pensée juridique religieuse ne lui accordent de fonction.

Structure de la pensée politique islamique classique

par Yadh Ben Achour

Nul doute aujourd'hui encore que l'Islam, au lever de son xve siècle, se révèle aux yeux du monde entier comme l'une des dernières religions à inspirer, animer et même dicter les conduites politiques. Il n'était d'ailleurs pas besoin d'attendre la révolution iranienne pour faire ce constat. Rarement, presque jamais, l'Islam ne s'est résigné à se retirer de la scène politique même dans les pays musulmans les plus laïcisés. Son influence se situe aussi bien au niveau de la négociation des alliances entre Etats et des relations internationales, qu'au niveau de la détermination des politiques internes des Etats. Cela apparaît clairement dans les discours politiques, les constitutions, le droit positif, en particulier le droit privé.

Islam, facteur de conservatisme ou de progrès ?

par Maxime Rodinson

«Pourquoi les Musulmans sont-ils en retard et pourquoi d'autres sont-ils en avance ?» Telle est la traduction (plus ou moins heureuse mais littérale) du titre arabe d'un livre célèbre dans le monde musulman. L'auteur de cet ouvrage, publié au Caire par les éditions de la revue de la réforme religieuse islamique, Al-Manâr, en 1349 de l'hégire (de mai 1930 à mai 1931 de notre ère), était l'émir libanais Chekîb Arslân, un des chefs de file du nationalisme arabe à l'époque, bête noire des coloniaux français entre autres. La question n'a cessé de se poser ainsi depuis deux siècles ou à peu près aux Musulmans. Elle eût étonné, sous cette forme, les gens du Moyen Age, musulmans ou chrétiens.

L’influence de l’Occident sur les sociétés musulmanes : l’espace arabe

par Olivier Carré

C'est la modernité qui, dans le monde arabo-musulman actuel, est liée naturellement à l'Occident et est souvent identifiée à l'occidentalisation. Ce lien est sans doute accentué, pour le monde arabe, en comparaison avec d'autres espaces musulmans, par la proximité géographique et historique de l'Europe. Même la période des indépendances est, en fait, fortement dépendante de l'Occident européen en deux adaptations « modernes » dans l'Islam arabe : le nationalisme et le socialisme.

L’appareil de l’Islam

par Paul Nwyia

Des événements graves, survenus dans une partie du monde musulman, ont subitement fait surgir dans le vocabulaire quotidien des mass media une série de mots qui, jusque-là, n'avaient jamais été lus ou entendus dans le monde occidental. Tout le monde a parlé des Mollas, des Ayatollahs et autres chefs religieux ; et par référence à des catégories connues dans le monde occidental, l'on s'est demandé si ces personnages religieux musulmans n'étaient pas l'équivalent de ce que chez nous l'on appelle évêque, prêtre ou pasteur. Antérieurement aux événements auxquels nous faisons allusion, on connaissait d'autres termes qui maintenant font presque partie du vocabulaire français : le Dictionnaire Larousse a intégré le mot Imâm (ou Iman) défini par « ministre de la religion musulmane », ou encore le mot Uléma (ou Ouléma) défini comme « docteur de la loi, théologien, chez les musulmans ». Il y a même le mot Cadi, « juge musulman qui remplit les fonctions civiles et religieuses ».

Références à l’Islam dans le droit public positif en pays arabes

par Jean-François Rycx, Gilles Blanchi

C'est à la relation existant entre le pouvoir et l'Islam que nous nous intéresserons et plus particulièrement aux références à l'Islam dans le droit public positif de ces pays (1). Cependant, si l'on entend par référence à l'Islam les seules prescriptions directes édictées par le Coran ou le droit musulman, notre sujet se trouvera extrêmement limité. Il n'offre d'intérêt que si l'on tient compte de l'ensemble des faits et des textes qui créent «l'environnement» islamique du système juridique de ces pays. Cet environnement, sans être à proprement parler l'une des sources du droit public positif, n'en conditionne pas moins dans une large mesure le fonctionnement des institutions. Afin de limiter notre étude, nous mettrons l'accent dans nos références sur l'Egypte. Ce pays semble représenter un cas « moyen » où la plupart des questions soulevées par le rapport Islam/droit positif sont débattues.

Les partis dans le monde musulman

par Pierre Rondot

Le monde musulman comporte une grande diversité de régimes politiques. Mais l'impression prévaut, en Occident, qu'il ne favorise généralement pas l'institution et le jeu des partis. L'Islam, classique ou moderne, aurait-il à cet égard une position particulière ? Des divisions, ou des groupements, d'origine spirituelle, y joueraient-ils traditionnellement un rôle analogue à celui des formations politiques de l'Europe ou des Etats-Unis ? A notre époque, toutefois, des partis « à l'occidentale » n'ont-ils pas fait leur apparition dans nombre de pays musulmans, même si la règle du «parti unique» y prévaut assez souvent ?

Les minorités musulmanes et le pouvoir

par Vincent Monteil

Le mot « minorité » fait presque toujours penser à « mise à l'écart » ou même à « répression ». C'est loin d'être toujours vrai — dans le monde musulman comme ailleurs. Et d'abord, parce qu'il faut venir à bout de préjugés tenaces, d'informations erronées ou tendancieuses (sciemment ou non), du bourrage de crâne dont la presse, la radio, la télévision sont responsables. Le problème de la «liberté d'expression» n'est certes pas en cause, en France tout au moins — où n'importe quel journaliste, usant de son droit à la parole, écrit ou raconte n'importe quoi sur n'importe quel sujet. Comme s'il suffisait d'avoir la « carte professionnelle » pour trancher à tort et à travers ! L'exemple de l'Iran est éloquent à cet égard.

Eléments d’une analyse de la pensée islamique actuelle

par M.A Sinaceux

La place impartie à la pensée islamique actuelle dans ce numéro ne permet de présenter que l'esquisse d'une analyse. Je m'attacherai donc essentiellement à la critique des paradigmes usuels pour tâcher ensuite d'indiquer en quoi consiste la pensée islamique aujourd'hui et pourquoi elle ne consiste qu'en cela.

Laïcité algéro-islamique

par Henri Sanson

La société algérienne est une société confessionnelle. Ceci est vrai culturellement : elle se dit de «tradition araboislamique» et, pour affirmer son identité, elle se déclare musulmane et arabe. Ceci est vrai également institutionnellement : la Constitution de 1976 dispose que « l'Islam est la religion de l'Etat » (art. 2), que l'Arabe est « la langue nationale et officielle » (art. 3), que le Président de la République doit être «de confession musulmane» (art. 107) et prêter serment «de respecter et de glorifier la religion islamique» (art. 110) ; quant à elle, la Charte de 1976 déclare que «la Révolution entre bien dans la perspective historique de l'Islam» (p. 21) et que «le socialisme (qui) n'est pas une religion (...) est une arme théorique et stratégique» (p. 23) au service de la Révolution et de l'Islam. Ceci est vrai, enfin, politiquement.

Le shiisme et les événements d’Iran

par Alain Chenal

Le soulèvement du peuple iranien contre la monarchie des Pahlavi a fait découvrir à un large public le mouvement shiite. D'autres crises politiques mettent en évidence l'extension et la diversité des mondes shiites et des partisans d'Ali (shiat Ali) : population majoritaire et prolétaire de l'Iraq, autour des grands lieux saints de Mésopotamie, première communauté musulmane du Liban, et là aussi la plus pauvre, minorités alaouite en Syrie, alévi en Turquie, ha zara en Afghanistan, sans parler de l'Arabie, du golfe et de l'Asie centrale.

L’Islam en Arabie Saoudite

par Ghassane Salame

En Arabie Saoudite, l'Islam est, en quelque sorte, aux antipodes de ce qu'il était dans l'Iran du chah Pahlavi. Loin d'être distinct, extérieur, et finalement hostile au pouvoir, il en fait partie, le fonde et le rend légitime. En réalité, peu de pouvoirs établis dans le monde musulman peuvent rivaliser avec le royaume saoudien dans l'intimité de leur relation avec l'Islam. Le royaume est historiquement né, et a, par la suite, survécu grâce autant à l'ambition politique de la famille des Saoud qu'à l'action religieuse de Mohammad Ibn Abdel Wahhab (1703-1792), un réformiste intégriste, prêchant avec zèle le retour à l'Islam originel.

Le régime politique libyen et l’Islam

par Hervé Bleuchot, Taoufik Monastiri

Quand le colonel Mu'ammar El-Qadhdhâfî et les onze membres du Conseil de commandement de la Révolution (CCR) prennent le pouvoir le 1er septembre 1969, le régime qu'ils abattent, celui du vieux roi Idriss Ier El-Senoussi, est un régime fortement marqué par l'Islam. A l'époque, les observateurs n'hésitaient pas à écrire que «de tous les Etats d'Afrique du Nord, la Libye est donc celui qui se rapproche le plus du type idéal musulman ancien». Après la Révolution on s'attendait donc à ce que le nouveau régime soit proche du régime nassérien ou algérien, tant par son idéologie que par sa structure que par sa politique. Bref que la Libye révolutionnaire soit l'inverse de la Libye monarchique.

Turquie

par Louis Bazin

Les relations entre l'Islam, l'Etat et la société présentent en Turquie des caractères très particuliers, conséquences de processus historiques contradictoires. L'Islam turc est de quatre siècles plus récent que l'Islam arabe. L'islamisation massive des Turcs s'est produite à partir de l'an mille en Asie centrale, et l'expansion islamo-turque dans les territoires de la Turquie actuelle, aux dépens de l'Arménie et de l'Empire byzantin, ne remonte, approximativement, qu'au dernier tiers du XIe siècle, sous l'impulsion de l'Etat turco-iranien des Seldjoukides. Sur le plan socioculturel, l'Islam turc, relativement peu arabisé, a subi des influences iraniennes, et, surtout, a conservé, en une synthèse originale, des traditions préislamiques turques et anatoliennes.

Islam et Etat au Sénégal

par Guy Nicolas

Le Sénégal est officiellement un Etat laïque, soumis au jeu démocratique. Son Président, L. S. Senghor, est catholique et ses élites modernes sont particulièrement ouvertes à la culture occidentale. Le français y est langue nationale. Dans les faits, cependant, la vie politique y est commandée par un compromis instable entre les dirigeants politiques et un petit nombre de personnages religieux musulmans exerçant une autorité profonde sur une majorité de citoyens.

L’Islam en Indonésie

par Denys Lombard

Par sa population, environ 145 millions d'habitants, l'Indonésie arrive en cinquième position, après la Chine, l'Inde, l'Union soviétique et les Etats-Unis. Si l'on suit les statistiques officielles qui déclarent que 90 % de cette population sont de religion musulmane, c'est sans nul doute le pays le plus peuplé du monde de l'Islam — avant le Pakistan et le Bangladesh. Ce chiffre considérable d'environ 130 millions est contesté il est vrai par certains, notamment par les minorités chrétiennes (7 à 8 millions de protestants, 4 à 5 millions de catholiques) qui prétendent que le véritable pourcentage des musulmans n'excède guère 43 % ; cette position se fonde sur un examen global des élections : les partis politiques se réclamant ouvertement de l'Islam n'ont jamais en effet obtenu plus de la moitié des suffrages, et n'ont jamais pu faire adopter le principe d'un Etat islamique.

La vague islamiste au Maghreb

par Bruno Etienne

En choisissant ce titre, je n'échappe pas à une certaine lecture de l'Orient dont je vais analyser les effets pervers plus bas, mais mon interrogation n'est en rien anxiogène : elle est. Devant la formidable faillite d'un discours qui a désormais une vingtaine d'années, le savant est en droit de se poser quelques questions, même si celles-ci aveuglent le politique au point qu'il refuse souvent de les poser. L'impuissance des Etats arabes devant l'invasion israélienne au Liban n'a d'équivalent dans l'intensité surprenante que la mobilisation des masses, au même moment, pour le Mundial... Il faudra bien pourtant que les comptes se fassent et aucun Etat arabo-musulman ne s'en sortira honorablement.

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