Esther Degbe, fondatrice de Story Teller

11/10/2015
  • Scopalto Après avoir été journaliste dans la presse quotidienne - qui n'est pas le secteur le plus facile actuellement - vous décidez d'éditer une revue papier, vous​ aimez les prises de risque ?
  • Non mais j'ai besoin de faire ce que j'aime, et c'est pareil pour tous les membres de l'équipe, les permanents comme les collaborateurs. On avait peur quand le numéro 1 est sorti mais on ne pensait pas prendre un risque, au pire on passait totalement inaperçues. On aurait juste perdu un peu de crédibilité auprès de nos amis et ils auraient fini par oublier. La presse en général ne va pas très bien. Si c'est un risque il est motivé par une forme d'inconscience. On aime le papier, les mots, le long format et les obstacles étaient tous surmontables.

  • Comment est né Story Teller et pourquoi ce titre ?
  • D'une envie, comme un caprice, d'écrire long et d'avoir la possibilité de fignoler ses textes. A l'origine, Story Teller était censé être un simple recueil de nouvelles, d'une quarantaine de pages, un objet plus arty que journalistique. Sauf que les trois quarts de l'équipe étaient issus d'une formation de journaliste et que petit à petit on est arrivés à une sorte de mélange des genres. Au delà d'écrire, nous voulions aussi intéresser un lectorat, et pour ça on a simplement décidé de parler de nos lecteurs à nos lecteurs.

    C'est la version courte.

    Pour le titre, nous avions envie de raconter, de mettre l'histoire avant les faits, puisque le but est de divertir, le récit est le coeur de la revue. Il fallait qu'on comprenne qu'on raconte des choses dès le titre. Story Teller sonne bien et s'impose comme une forme d'entité, le conteur, le petit pavé plein d'histoires, la personne qui nous raconte son expérience. On aime beaucoup partir de l'individu pour toucher le collectif. Story Teller c'est père Castor qui boit des pintes en vidant des paquets de clopes - Kendrick Lamar en musique de fond. Pour forcer un peu le trait.

  • Story Teller intègre le texte, l'image, l'illustration, etc. autour d'un thème. Comment choisissez-vous le thème du numéro ?
  • On regarde ce qui se passe autour de nous. Il faut être à l'écoute, c'est une veille permanente. Certains sujets sont partout, omniprésents comme en filigrane, dans les médias, la musique, le cinéma et finalement dans notre quotidien. Ce sont des questionnements, des idées et des tendances qui imprègnent notre époque et qu'on ne peut éviter, ce sont des choses qui vont nous influencer qu'on le veuille ou non. Choisir le thème du féminisme pour notre numéro 2 correspond exactement à cela. Le féminisme est revenu sur le devant de la scène mais il s'exprime de diverses manières. C'est un mouvement qui a pris tant de directions qu'il nous a semblé intéressant de l'aborder. C'était aussi l'occasion pour nous de s'interroger et d'inciter nos lecteurs à se poser des questions. Les dommages causés par les images qu'on peut avoir de la virilité, les limites de notre engagement féministe, la force du conditionnement dans le rapport homme/femme.

  • Comment envisagez-vous Story Teller ? Comme un lieu d'investigation, d'exposition .. ?
  • C'est un peu comme une longue série ou une photographie. On choisit un domaine et on le découpe en plusieurs tranches. Chacune de ces tranches aura son propre point de vue et son histoire. Et à la fin, c'est au lecteur de décider le sens qu'il souhaite donner au grand ensemble. Car chaque article, nouvelle, photo, illustration est une partie du sujet de société que nous traitons. Seulement, on ne dit pas au lecteur ce qu'il est bien de penser, ou de suivre. C'est simplement le point de vue de plusieurs individus aux prises avec une réalité brute. Et surtout, il ne faut pas oublier que c'est avant tout une revue de divertissement où toutes les formes ont droit d'exister tant qu'elles s'inscrivent dans un récit. Il y aura peut-être de l'investigation dans nos prochains numéros mais les sujets resterons légers.

    Pour le terme " exposition ", il fonctionne aussi. Nous aimons présenter des artistes peu connus ou méconnus.

  • Votre expérience professionnelle est donc axée plutôt sur la réactivité, l'information « chaude ». Avec Story Teller vous passez sur un format trimestriel, est-ce la notion de « slow journalism », hors de l'actualité, qui vous intéresse ?
  • En un sens oui, bien que le slow media, pas nécessairement hors de l'actualité d'ailleurs, est souvent présenté comme quelque chose de nouveau. Mais c'est le web et son traitement de l'information, consumée avant même d'être consommée, qui le sont. Après, il n'y a pas de mépris pour Internet et les nouvelles technologies. Story Teller est imprégné de culture web. Retourner au papier c'est retourner à une information qui ne se périme pas, qui sera le témoin de ceux qu'on appelait la génération Y, du moment où c'est devenu cool de se déclarer féministe et de lapider celles qui disent "je ne suis pas féministe mais", de ce que la norme nous impose en 2015. On fait tout ça en slow motion parce qu'observer une société qui bouge, même très vite, prend du temps.

  • Quelles revues vous ont marquée et peut être donné envie de créer à votre tour une revue ?
  • La nouvelle revue Française. Non c'est une blague. Il y a un goût prononcé pour la littérature classique au sein de l'équipe mais on est plus pop culture qu'intello, même si on aime bien que les deux univers se rencontrent. C'est surtout la presse magazine qui nous a influencé : Tsugi, pour les choix et l'énorme travail sur la maquette qui y est fait. Ce magazine est beau comme une pochette de vinyle et on y parle très bien de musique. De manière toujours très juste.

    Butt, un magazine homo qui sort une fois par an. Un gros pavé imprimé sur des feuilles roses. Avec énormément de photos, notamment de mecs pas très habillés. Il a un côté inédit, jamais vu ailleurs dans ce magazine, c'est très frais. Qu'on soit homo ou pas.

    So Film. Des dossiers dingues, de longues histoires écrites avec style. Technikart, pour ses choix sans concessions.

    Après il y aussi, toute une série de jeunes acteurs/ producteurs qui se sont lancés en indépendant parce qu'il n'entraient pas dans les "bonnes" cases et qu'ils savaient qu'il n'étaient pas seuls. Je pense à l'équipe de la série Workaholics, dans un esprit plus mainstream, Lena Dunham.

  • Quels sont vos derniers coups de cœur culturels ?
  • Il y aura une interview de Nine Antico dans notre prochain numéro. J'ai eu l'occasion de me replonger un peu dans son oeuvre. Autel California est une BD vraiment bien foutue, avec une histoire prenante et un coup de crayon très efficace, qui brasse pas mal de sujets de manière subtile, évoque pas mal de questionnements. Le groupe Last Train qui émerge tout juste et dont j'attends l'album avec impatience. Mais aussi Ry X, le dernier album d'Alabama Shakes, Run the Jewels, la série Sense 8. Oui c'est très pop culture.

    En matière d'exposition, Fanny Bleichner qui gère l'équipe de contributeurs avec moi a beaucoup apprécié celle du Mucem sur les lieux saints partagés, une exposition vraiment pluridimensionnelle qui inclue de la vidéo, des projections, des objets, des tableaux.

  • Qui adoreriez-vous avoir dans les pages de Story Teller ?
  • Des centaines d'articles sont déjà parus à son sujet mais Michel Houellebecq, il reste bien quelques questions à lui poser. Elfriede Jelinek, des auteurs pas toujours très drôles quoi. Warren Ellis aussi, pourquoi pas. Chuck Palaniuk… Le groupe Death Grips, Stupeflip, Cheveu, Deadelus, Benjamin Clementine, Thom Yorke

  • Quels sont les personnages avec qui vous aimeriez passer un diner ?
  • Chinaski, l'alter ego de Bukowski

    Le chevalier keu, un personnage récurrent dans Chrétien de Troyes

    Le personnage de Ryan Gosling dans Drive, que s'est-il passé avant qu'il se mette à conduire ? J'aimerais savoir.

    Daria, de la série éponyme.

    Tyrion Lannister.

    Electre, celle de Giraudoux.

Retrouvez les anciens numéros de la revue Story Teller