Tête de reine égyptienne.

Nous nous sommes donné plusieurs règles, dont celle-ci : pas de critique négative; ne parler que de ce que nous aimons. C'est assez nouveau, dans un climat intellectuel plutôt hargneux. Nous nous y plions sans effort. Exprimer des refus et des oppositions, fabriquer et livrer tous les deux mois soixante mille flacons .de bile, quelle triste occupation!

Nous venons d'examiner les derniers rapports publiés à travers le monde. Tout se passe vraiment comme si une nouvelle variété de l'humanité était en train de faire son apparition sur le globe. Nouvelle variété? Nouvelle catégorie biologique, psychique, intellectuelle, sociale? On serait tenté de dire : nouvelle caste, si le mot n'avait de fâcheuses résonances. Partout dans le monde civilisé cette nouvelle caste se manifeste et commence de modifier les structures sociales et économiques, de bouleverser les fondements de la culture. II s'agit de la jeunesse.

En collaboration avec l'équipe de Planète, et grâce aux efforts de Georges Breuil assisté de Gabriel Véraldi, va se créer en France, sur le mont Canisy, au-dessus de Deauville, l'un des plus importants centres culturels du monde.

Voici douze années qu'Alfred Korzybski, créateur de la Sémantique générale, est mort dans une petite ville de la Nouvelle-Angleterre. En dehors des cercles scientifiques américains, cette disparition est passée inaperçue. Seul, peut-être, en France, Gaston Bachelard a su qu'un des plus grands cerveaux de tous les temps avait cessé son effort inlassable (1). Mais son oeuvre est jeun~; elle commence à peine une vie qui sera un moment de l'évolution humaine. II n'est pas de semaine qu'un homme en quête de vérité ne rencontre Korzybski et n'en soit changé. Cet homme n'est pas

L'Occident, qui partout bande des ressorts et se prépare à faire un bond formidable dans l'avenir, dans le même temps s'interroge sur son passé. Cette curiosité sur l'origine de notre civilisation n'a cessé de grandir depuis un demi-siècle. Tout se passe comme si l'homme occidental faisait le point : d'où vient-il, où va-t-il? avec le sentiment inconscient d'être à un tournant décisif. Avec des moyens en hommes et en matériels souvent énormes, avec une patience de castor et une ruse de renard, il s'est efforcé de remonter les siècles. Ses efforts lui ont donné des certitudes jusqu'au Ive millénaire avant Jésus-Christ. En détails, son intelligence peut faire l'inventaire de 6 000 ans de culture née sur les bords du bassin méditerranéen.

L'étude des singes est en train de devenir. une mine incroyablement riche d'enseignements pour les psychologues qui voient dans cette sous-humanité le moyen d'aborder le démontage des mécanismes élémentaires de notre pensée.

Les intellectuels et artistes français qui eurent vingt ans au début de la guerre, forment une génération romantique, aventurière et mystique. A peine sortis d'une adolescence prolongée par l'étude, ils assistèrent à l'effondrement de leur pays, lequel n'avait jusqu'ici point douté d'être le coeur du monde civilisé. Ils se retrouvèrent en quelques jours sans lien avec le passé et vécurent cinq à six années de repliement, de camp ou de maquis, hors du temps et hors du jeu social ordinaire, dans ce climat de haute tension d'esprit que produisent la lutte, la misère et les périls. lis émergèrent, la paix rétablie, dans un monde sur lequel pesait désormais une menace de destruction totale. Venus d'une catastrophe, ils commencèrent leur vie d'homme avec une conscience apocalyptique. Génération de déracinés, plus que toute autre sensible à l'archétype du paradis perdu, travaillée par l'inquiétude métaphysique, peu disposée à s'endormir de bon gré dans les illusions du pouvoir et de la réussite, mieux que toute autre invitée à méditer sur ceci : que l'homme est un arbre renversé et que ses racines sont au ciel.

Dans le meilleur des cas, nous habitons des « appartements de rapport » dont le modèle-type a été conçu par Garnier voici un siècle. Ou bien nous sommes logés dans des volumes uniformes aux dimensions spécifiques. Si l'architecture contemporaine n'a pas de style, elle n'en obéit pas moins à un mythe dont l'extension est universelle depuis Gropius et Le Corbusier, celui de la fonctionnalité. L'architecture fonctionnelle se veut juste. Son esthétique est celle· de l'utilitarisme absolu : elle est « belle » parce qu'elle correspond étroitement à sa fonction.

Se pencher sur le problème d'une liaison entre l'homme et les astres, ce n'est pas seulement tenter de faire acte scientifique, c'est aussi voyager à travers les préjugés les plus étonnants·, les plus anciens, les moins réductibles que la science ait eu à supporter. Il est assez difficile de comprendre et plus encore d'admettre nos recherches insolites sur l'hérédité planétaire, si l'on ignore les circonstances qui nous ont entraîné jusque-là.

De toutes les épreuves qui parsèment une vie d'homme, la déchéance physique et intellectuelle qui, encore souvent, précède la mort, est la plus insupportable pour la raison. Autant nous pouvons nous préparer à renoncer à nous-mêmes, autant nous nous refusons à renoncer à l'idée que nous nous faisons de nous-mêmes. Pour le sage, ce n'est pas la mort qui reste difficile, c'est le passage. Longtemps nous détournons notre pensée du dénouement pourtant inéluctable ; lorsque nous nous résignons à l'envisager, le sort de ceux qui se sont endormis doucement, sans se donner en spectacle, paraît enviable. Ce n'est pas une question d'orgueil ou de lâcheté; c'est une question de fidélité. L'athlète et le savant désirent une mort qui ressemble à leur vie.

Le problème posé par l'extase, en tant que phénomène historique d'abord, et éventuellement en tant que phénomène positif, est très exactement le genre de problème qu'une nouvelle vision de l'homme nous oblige à étudier. Face aux classicismes de toutes sortes, nous croyons que l'homme est un système ouvert dont les limites, non seulement nous sont inconnues, mais probablement n'existent pas. Cette opinion, nous ne la fondons nullement sur un optimisme doctrinaire, mais sur l'observation du phénomène de l'évolution.

La découverte de « Planète » fut singulièrement exaltante pour moi mes propres recherches, accomplies dans la solitude et dont le caractère insolite m'a fait plus d'une fois mettre en doute la légitimité, m'ont donné la conviction qu'il est possible d'atteindre un mode nouveau de connaissance qui participerait à la fois de l'intelligence, de l'intuition et même de la voyance ou de l'illumination mystique. Je crois que tout progrès futur, dans quelque domaine que ce soit, dépendra de cette réforme de nos structures intellectuelles et mentales : nous voici à un seuil impossible à franchir si nous n'accédons à une nouvelle dimension de l'esprit.