Philosophe né en 1932, professeur honoraire à l’Université de Caen, à l’Université de Genève et à l’Université de Rouen, Alexis Philonenko, auteur d’une oeuvre monumentale, est considéré comme l’un des meilleurs spécialistes de l’histoire de la philosophie, et en particulier de la philosophie allemande. Citons, parmi ses ouvrages les plus remarqués, La liberté humaine dans la philosophie de Fichte (1966), Théorie et praxis dans la pensée morale et politique de Kant en 1793 (1976), Essais sur la philosophie de la guerre (1976), Schopenhauer, une philosophie de la tragédie (1980), L’oeuvre de Kant (1981), Jean-Jacques Rousseau et la pensée du malheur (1984), L’archipel de la conscience européenne (1990), Le Transcendantal et la pensée moderne (1990), Bergson ou de la philosophie comme science rigoureuse (1994), Chestov et le problème de la philosophie existentielle (1998), Histoire de la boxe (1999), Leçons plotiniennes (2003).
La Violence
Entretien avec Alexis Philonenko
Entretien avec Jacques Rancière
Professeur émérite de l’Université de Paris VIII, (laboratoire d’études et de recherches sur les logiques contemporaines de la philosophie), Jacques Rancière fut à 25 ans co-auteur de Lire le Capital avec L. Althusser et E. Balibar. Dès 1968 cependant, Rancière prendra d’autres chemins pour produire une oeuvre esthétique dont on signalera La nuit des prolétaires (1981,1997), Les noms du savoir (1992), Le partage du sensible (2000) et philosophique avec entre autres : Le philosophe et ses pauvres (1983), Le Maître ignorant (1987), La Mésentente (1995). Il fut également l’animateur de la revue Les Révoltes logiques. Les scènes du peuple, publié en 2003, rassemble une part significative de ce travail.
La violence ou la déréliction du pouvoir
Comme le faisait remarquer, au début du siècle dernier, Georges Sorel, l’auteur des Réflexions sur la violence : « Les problèmes de la violence sont demeurés jusqu’ici très obscurs ». Il semble que ces obscurités tiennent d’abord à une confusion du vocabulaire philosophique et politique, confusion liée elle-même à nos perceptions bien souvent déformées des réalités politiques. Nous nous efforcerons donc de distinguer brièvement ici ces trois notions : la force, le pouvoir et la violence.
La violence des autres
Des textes comme Jacques le Fataliste ou Le Mariage de Figaro mettent bien en scène quelque chose comme une heure de grâce des Lumières. En quel sens ? Les serviteurs y sont parvenus à un degré d’empire sur eux-mêmes, de maîtrise du cours de leur relation avec les maîtres tel que ces derniers sont régulièrement conduits à s’exhiber comme des perdants en retombant dans la violence ou la fureur. Les serviteurs sont devenus si intelligents, si experts dans le maniement du langage, à ce point dépris de la subalternité et de la peur du maître qu’ils exposent calmement, je dirais presque souverainement, la violence comme le fait de l’autre mal dégagé des formes anciennes, des usages archaïques.
Le public ou la violence politique absentée
Si on peut attendre de la désapprobation de la part d’individus exposés à des spectacles divers, on ne craint pas, en général, de réactions violentes. Des membres d’une société d’égaux en droit, on ne prévoit pas qu’ils soient guettés par des risques de dissociation et de conflit violents. La formation d’un public, esthétique ou politique, assurent d’ailleurs les philosophes modernes, répond à cette fonction : réduire les dynamiques de la violence à peu de choses, puisqu’elle privilégierait les sociabilités, les bonnes moeurs et la parole pacifiée. Pour cette raison, une telle formation n’est pas considérée comme un processus secondaire dans nos démocraties parlementaires.
Donner des coups : la construction du lien social
Dans le domaine des sciences sociales, le thème de la violence est le plus souvent abordé lorsqu’il s’agit de faire état d’une certaine catégorie d’événements (émeutes, guerres, violences urbaines, racisme, faits divers). Ces phénomènes ne font cependant que renvoyer à une question plus fondamentale pour la sociologie. Si en effet le problème de la science sociale est bien de savoir comment il peut y avoir de la société, la question qu’il faut poser à la notion de violence est plutôt de savoir comment elle peut rendre compte du mécanisme de construction du lien social.
Le Surça, d’un “malaise ” qui ne passe pas
C‘est vieux comme l’anneau de Gygès. Chacun espère que son heure viendra : l’heure des crimes impunis, de la rapine et du viol, dans le silence impuissant des lois. L’infaillibilité du veilleur n’est qu’un mythe ; grandes surfaces, terrains vagues, esplanades désertées, parkings souterrains, dernier RER, periph de nuit : pas de flics, pas de juges, plus d’appareillages coercitifs pour faire entendre raison. Là, c’est la Loi qui règne, la seule vraie Loi, la Loi d’avant les lois : le prédateur et sa proie. La nuit, ainsi, nous rappelle le grand secret qui finit toujours par percer ; jusque dans l’étreinte concédée par contrat, quand il accomplit son « devoir » matrimonial, l’honnête citoyen écume et grimace
Alain, la guerre, la politique et la bêtise
Journaliste, philosophe, écrivain inclassable, figure du radical, du républicain, de l’homme libre ou simplement de l’Homme, comme l’appelaient ses élèves, Alain (Émile Chartier, 1868-1951) a dominé de son impertinente stature tout notre premier vingtième siècle. Héritier, atypique par fidélité, de la grande tradition réflexive française qu’illustrèrent Jules Lachelier et Jules Lagneau, inventeur de la forme du Propos, par laquelle, après bien des tâtonnements, s’inaugura une écriture philosophique sans précédent et sans réelle postérité. Une oeuvre immense et d’une diversité décourageant tout effort de réduction, mais aussi une de ces rares existences philosophiques qui demeurent, et de façon parfois brûlante, comme de troublantes questions posées à notre propre humanité.