Comédies de l’immaturité

Seul comme Harry Langdon

par Daniel Fischer

Le clown oublié (The Forgotten Clown), tel est le titre générique sous lequel ont été publiés il y a quelques années les DVD contenant les trois longs métrages du milieu des années 1920 où Harry Langdon apparaît comme comédien. Ces films sont effectivement devenus difficiles à voir ; en outre, après quelques incursions dans la réalisation, Langdon a disparu des écrans au début des années 1930 (il a par la suite poursuivi une carrière de scénariste, notamment dans des films avec Laurel et Hardy). Étrangement, sa silhouette a néanmoins traversé le siècle, à la manière d’un ectoplasme devenu indépendant de son support en celluloïd. Destinée paradoxale, si on la réfère à l’inconsistance légendaire du personnage qu’il avait interprété : c’est comme si son évanescence était en corrélation directe avec le caractère indestructible qu’il a fini par acquérir dans nos mémoires.

Il n’y a pas d’âge pour Jerry...

par Emmanuel Dreux

Dans You’re Never Too Young (Norman Taurog, 1956), Wilbur Hoolick, le personnage qu’interprète Jerry Lewis, se voit contraint par le jeu des circonstances de se faire passer pour un garçonnet de 11 ans et demi. La « contrainte », ici, est celle du costume d’enfant, culottes courtes et marinière. Pour le reste, Jerry Lewis est dans son rôle habituel : tout est pour lui prétexte à jeu, étonnement, sottises, caprice, crise de larmes, maladresse, destruction, exaspération d’autrui, le costume l’autorisant dans ce film à faire l’enfant sans retenue et en toute impunité.

Un conte de temps de guerre en noir et blanc : I Know Where I’m Going (Michael Powell & Emeric Pressburger, 194

par Élisabeth Boyer

Je sais où je vais : ce titre indique l’hyper-orientation d’un personnage, ce qui à première vue s’oppose à l’idée de désorientation dont traitent les films rassemblés pour ce numéro sur la comédie de l’immaturité. Or, tout l’art de I Know Where I’m Going consiste à désamorcer la certitude contenue dans son titre : le film est non seulement en grande partie une comédie, mais traite aussi centralement de l’idée d’immaturité. Il met en scène le dévoiement d’une jeune fille dont le chemin est tracé : « Tout est arrangé ! ». Le rêve d’un riche mariage – qui alimente nombre de comédies hollywoodiennes – prend immédiatement chez Joan Webster (Wendy Hiller), sûre d’avoir atteint ce but, une dimension vénale qui altère son image. Le film est la mise à l’épreuve de l’assurance de ce personnage, qui rend pensable sa dimension factice et intemporelle. Il met à nu la construction a-subjective de l’intérêt, ce qui permet de la penser.

Quand l’amour met la fable à la porte : Monkey Business (Howard Hawks, 1952)

par Serge Peker

Un chimiste, le docteur Barnabé Fulton (Cary Grant), pense être sur le point de trouver la formule du rajeunissement. Esther, jeune chimpanzé femelle de six mois, profite de sa cage ouverte et de l’absence de personnel pour imiter le savant, mélanger ses produits et verser le résultat dans la fontaine du distributeur d’eau. Revenant à sa paillasse, le docteur Barnabé Fulton expérimente sur lui-même une gorgée de sa propre préparation. Trouvant la potion amère, il avale un peu d’eau tirée de la fontaine. Les effets se font très vite sentir car la mixture du chimpanzé n’est autre que la formule de jouvence. Le docteur Barnabé Fulton croit avoir découvert ce qui devrait faire sa gloire et la fortune de son patron, le vieil Oxley (Charles Coburn). De la potion amère du savant à la fontaine du distributeur, Edwina (Ginger Rogers) son épouse et bien d’autres suivront le même chemin. Monkey Business est cette comédie-fable ou ce récit d’enfant que se racontent des adultes en reprenant le mythe (fabula) de l’éternelle jeunesse.

Comédiens de l’immaturité : Born Yesterday (George Cukor) avec un détour par Suspicion (Alfred Hitchcock)

par Denis Lévy

Cary Grant est un acteur de comédie. C’est comme ça, il n’y peut rien : quand il apparaît, ce n’est pas qu’on a envie de rire, mais on a envie qu’il fasse rire. On est très déconcerté devant ses rares rôles entièrement sérieux (Notorious, Hitchcock 19461, Crisis, Richard Brooks 1950, ou le curieux drame social None But the Lonely Heart, Clifford Odets 1944), non pas parce qu’il y serait mauvais, mais parce qu’il y est trop sérieux pour ne pas paraître un peu terne. Or un beau garçon un peu terne, ce n’est pas loin d’être un bellâtre. Ce qui empêche Cary Grant d’être un bellâtre, c’est sa drôlerie. Il n’est pas ridicule, il est drôle.

L’été de Kikujiro (Takeshi Kitano, 1999)

par Frédéric Favre

Au contraire des grands espaces américains, il ne paraît pas possible d’errer au Japon sans se retrouver face à la mer, face à l’insularité du pays. Dans L’été de Kikujiro, au gré du voyage du jeune Masao et de son tonton improvisé (Beat Takeshi, nom de scène de Kitano), la mer est discrète mais omniprésente, parallèle à l’action ou dans son arrière-plan – comme le montre ce cadrage un peu humoristique d’une piscine sur fond d’océan – jusqu’à ce qu’elle s’impose frontalement, comme une butée, à l’aventure et au rêve. Elle sert ainsi de cadre à la déception de l’enfant et de l’adulte : assis sur le sable de la plage de Toyohashi, Masao pleure tandis que Tonton désemparé le console avec un «angeclochette» magique. La mise en scène ne se préoccupe cependant pas du panorama mais des personnages, avec une insistance qui vide le décor de sa théâtralité. La mer ainsi n’est pas un paysage de western – un personnage surdimensionné insolite et obsédant (désert, montagne, plaine, etc.) – et elle échappe au lieu commun du spectacle grandiose de la Nature, aux effets faciles de la contemplation.

Homme-cinéma : Bill Haverchuck : a Starr is born

par Lucas Hariot

Série américaine en dix-huit épisodes, Freaks and Geeks suit sur une année scolaire les aventures de deux groupes de jeunes lycéens, parias chacun à leur façon, dans une petite ville du Michigan au début des années 80 : les geeks, qui entrent au lycée et ont encore l’air de collégiens : les freaks, de quelques années leurs aînés, qui sèchent souvent les cours. La série s’appuie sur une typologie stéréotypée et sur des situations emblématiques du teen movie : l’expérience de l’alcool, de la drogue, la fête chez les parents, la découverte du sexe opposé, l’initiation sexuelle, la tricherie à l’école, la rupture amoureuse, la finale de basket, la fête du lycée, l’école buissonnière, etc.

La folle journée : Superbad (Greg Mottola, 2007)

par Céline Braud

D’une finesse saisissante, hirsute et drôle jusqu’au bout, SuperGrave dramatise la naissance au monde des idées émancipatrices. Le film est fait de processus orientant les personnages de l’immaturité régressive à une pensée de l’immaturité. Aussi constamment subtil qu’hilarant, le film progresse lui-même par métamorphose des genres : il est tout d’abord variation d’une grossièreté sans nom du teen movie1, puis une bromance2, avant de s’ouvrir ultimement en une comédie amoureuse. Ce qui ne pourrait être qu’une fiction graveleuse – mais excessivement graveleuse, et dans cet excès il y a sans doute déjà l’indice que nous ne sommes pas dans un film académique où tout finit par rentrer dans l’ordre ou par être policé – se révèle en fait être un grand film d’amour.

This Is The End (Evan Goldberg & Seth Rogen, 2013)

par Gabriel Raichman

Depuis plus d’une dizaine d’années, nous avons vu naître en Amérique ce qui s’apparente à une « école » comique. Propre à l’origine aux réalisations de Judd Apatow, cette verve humoristique s’est répandue chez une nouvelle génération de comédiens qui ont su l’adapter et la renouveler. En se réunissant dans ce film et en endossant leurs propres rôles, ces acteurs marquent leur volonté de se forger une identité collective : leur création apparaît comme une tentative de théorisation, une manière de prouver leur envie commune de cinéma, mais aussi de se redéfinir en tant qu’acteurs. Ils posent alors, sous une forme métaphorique et détournée qui leur permet de conserver la légèreté de ton qui les définit, les bases d’une poétique de l’acteur comique. Il ne s’agit donc pas, comme certains l’ont pensé, d’une grossière dénonciation du système hollywoodien et du concept de l’acteur-roi.

You Don’t Mess With the Zohan (bis) (Dennis Dugan, 2008)

par Serge Peker, Daniel Fischer, Charles Foulon, Frédéric Favre, Élisabeth Boyer, Denis Lévy

L’art du cinéma a célébré son 20e anniversaire, avec quelques mois de retard, le 17 octobre 2013, au Ciné 104 de Pantin, sur l’invitation de Qui-vive. Nous tenons ici à remercier François Nicolas, Rudolf Di stefano et Jacky Evrard pour leur accueil chaleureux et inconditionnel. Au programme de cette soirée figurait notamment You Don’t Mess With the Zohan (Rien que pour vos cheveux), le film de Dennis Dugan dont nous avons parlé dans notre n°72/73 (« Parler d’un film »). À la suite de la projection eut lieu une lecture de textes destinée à donner aux spectateurs l’idée concentrée d’une discussion entre les rédacteurs de L’art du cinéma. Nous publions ces textes dans l’ordre où ils ont été lus.

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