Intervention N°10 / 11

Le corps torturé: l’utilisation de la contrainte physique comme moyen de contrôle politique

par Denis Bouffar

La douleur s'expérimente par le corps humain mais contrairement au plaisir n'est à peu près jamais désirée. C'est de là justement que la douleur tire sa force: celui qui peut provoquer la douleur chez quelqu'un d'autre possède un pouvoir sur celui-ci. Cet axiome semble être bien connu par plusieurs dirigeants de nombreux pays qui utilisent la contrainte physique pour mieux asseoir leur pouvoir politique. Voyons quelques dimensions de ce phénomène à l'échelle mondiale. Selon Amnistie Internationale, le «Report Human Rights Practices» rédigé pour le Sénat américain et les travaux de recherche du Nouvel Observateur 1 environ 2,150,000,000 personnes vivant dans soixante-cinq pays soit plus de la moitié de la population du globe, ne possèdent à peu près ni droit politique ni liberté civile.

Le corps individuel dans le corps social

par Guy Durand

Les philosophes et les psychanalystes nous parlent depuis fort longtemps de la bataille qui habite et notre corps et la société toute entière. Eros et Thanatos, le principe de vie, de désir, de plaisir contre l'instinct de destruction, de mort, d'agression. Au temps de l'homme primitif, le corps apparaît comme un accessoire dominé par les forces célestes et terrestres. L'autonomie du corps et sa santé comme fin en soi sont impensables. À partir du Moyen-Âge et ce, jusqu'à l'avènement de l'ère rationnelle, la morale religieuse subordonne le corps à l'âme, le mal au bien, la maladie au charlatanisme. Or, de nos jours, le corps et son état semblent avoir été disséqués en marchandise par une multitude de spécialistes: à la morale on associe le prêtre, à l'inconscient le psychiatre, au psychique le psychologue; pour l'organisme biologique, il existe différents spécialistes de la médecine, pour la croissance les éducateurs, pour la mise en forme du corps les spécialistes de l'activité physique, pour la déviance la police, pour l'apparence enfin, on compte une batterie de spécialistes de tous les genres allant du coiffeur au modéliste en passant par le maquilleur et l'industriel du corps-mis-en-spectacle.

Connaissez vous un Chaman ? non, je ne fréquente pas les galeries d’art

par Jean-Claude St-Hilaire

À partir du moment où je me suis intéressé à l'art corporel j'ai relié ce phénomène à certaines pratiques dites primitives: tatouages, peintures faciales et corporelles, scarifications, danses et chants. Avoir envie de changer son corps, de l'altérer, le transformer. Ne pensons qu'aux tatouages qui s'associent aux attitudes punk et «new wave», au besoin expressif que les noir(es) ont fortement imprégné en eux et qui se matérialise entre autres dans leur habillement et leur coiffure. Depuis lors, les artistes pratiquent la performance! II s'en suit une prolifération de textes, colloques et émissions radio ou télédiffusées qui expliquent, défendent ou condamnent la performance. Ce présent texte ne fait pas exception à la règle: il parle de la performance. Une double optique y sera maintenue: faire le lien avec les sociétés dites primitives et ceci débouchant sur une prise de conscience que je qualifierai de psychologique. Le symbolisme, le rituel et la cérémonie seront le système nerveux de mon entreprise.

Orlan : Le drapé, le baroque et leurs média déclinaisons

par Flor Bex

ORLAN dit, redit (se dit séduit... médit) les thèmes iconographiques de l'art occidental. Dans des processions sacrales répétitives extrêmement lentes, ORLAN-Corps, corps-pur de Madona, apparition d'apparition donnée à voir portée, transfigurée, drapée (draps de trousseau sur amidonnés) dernière carapace pour être-tendre afin de devenir marbre-sculpture. Six hommes la présentent sur un plateau. Six hommes montrent cette vierge de pierre dont les hommes seuls ont sculpté l'image, être distante de cette image est aisé pour cette femme qui parle d'une histoire fabriquée par et pour les hommes. ORLAN-Corps est le matériel et l'instrument pour la mise en question de normes et de valeurs existantes. ORLAN se mesure aux mythes; la mère, la pute, la Sainte-Vierge, l'artiste; elle se mesure à elle-même et en cela son travail est toujours ancrée dans l'identité. Au cours du déroulement de son action elle donne à ressentir le temps d'une autre manière, dans un rythme très maniériste: (très lent immobilité, très très lent immobilité) avec les accents des vidéos, du film, du polaroid elle joue et se joue des média et des déclinaisons redondantes de ses traces: autres trompe l'oeil d'une autre époque. Le spectateur est happé dans une oeuvre baroque polysémique et sa lecture devra s'adapter sans cesse par les transformations et les changements d'identité, les attitudes, les références, les connotations, c'est-à-dire le représentant et le représenté. «L'art n'est plus un problème de support, mais de rapport. »

Vu du corps, il n’y a d’art qu’actuel

par Richard Martel

Comment se positionne l'art actuel? Quels sont les impératifs d'agir pour un producteur culturel? Comment envisager le rôle de l'art dans une société cybernétiquement dirigée? Voilà autant de questions qui présupposent des orientations idéologiques: entrons dans le vif du sujet. L'artiste actuel, celui de 1980, est-il en train de manquer le bateau? De quel bateau s'agit-il? En fait, la fonction déviante de l'art, celle qui démontre les mécanismes sociaux, est actuellement le propre de marginaux qui, par leur effort de soumettre les institutions au questionnement, s'éloignent d'une production au sens strict. Fonction déviante et fonction critique: deux des pôles de l'art, deux tâches difficiles. Actuellement, les artistes des musées et des galeries, remplissent exactement la fonction qu'on attend d'eux. II n'est pas étonnant que les galeries dites parallèles pullulent, mais «parallèles à quoi»? Le problème du corps individuel apparaît en même temps que l'interrogation systématique de la société. La technologie du capitalisme glorieux fera place progressivement à une autogestion écologique; c'est qu'avec la déroute des systèmes artistiques, nous assistons également au remplacement des valeurs d'une société qui, de par son organisation même, avait oublié de sentir son corps malade. L'implication des artistes actuels dans ce qu'on appelle la «performance» pourrait dénoter un tel malaise dans les conditions de la pratique artistique. En fait, le corps de l'artiste est soumis aux vérifications des fantasmes collectifs; et ils sont multiples: du narcissisme banal à la mutilation provocatrice.

Le corps traqué

par Claire Gravel

«Lamarche est toujours à l'intérieur de ses boîtes-cages...» a-t-on dit déjà dans Parachute. Boîtes-cages: je n'ai pas pour propos de redire pour la Xième fois ce qui a été dit sur Mouvement Temporel Syncopé, Phase 2. On a parlé de technologie sophistiquée en même temps que l'on décriait le manque de cette même technologie. C'était passer à côté du corps du sujet. À savoir, le corps traque. Claude Lamarche travaille depuis dix ans dans le champ de la sculpture. Ses dernières oeuvres, exposées à la galerie Motivation V le printemps dernier illustraient le propos de l'artiste: l'irréversibilité pour lui, le piège en ce qui concerne ma lecture de ses oeuvres. La première sculpture, l'oiseau qui en plein vol fracasse une vitre, Lamarche la dénomme Stop-Action. C'est sur ce principe qu'il entreprendra une recherche qui l'amènera à l'aboutissement de ce Mouvement Temporel Syncopé, qui a fait couler tant d'encre. «L'amorce déclenchée, me dit-il, le mécanisme s'engendre, et voici que s'organise une compression irréversible de l'espace-temps./ Les roues tournent, les engrenages grincent et roulent (SIC) le débit de l'action./ Fragilité, dureté, ciment, néon, transparence, verre, mort et vie se courtisent. Le coeur bat! Le ressort se tend, c'est le suspense en tension...»

Pour le droit de parole

par Robert Gélinas

Le titre de cet article est emprunté à une composition du flûtiste Jean Derome. En ses propres termes il s'agit d'un «Requiem pour ces temps politiques difficiles»; la nomenclature des divers paragraphes correspond à la structure harmonique que j'emploie lorsque je joue cette pièce. Parler de la musique improvisée, c'est-à-dire tenter une approche théorique à ce sujet ou encore mieux pratiquer l'improvisation musicale, m'apparaît essentiellement comme un plaidoyer pour le droit de parole; c'est pourquoi j'affectionne particulièrement cette pièce.

Le Billedstorfteater: du théâtre imaginaire en performance.

par Richard Martel

Créé en avril 1977 à Copenhague, le Billedstorfteater, théâtre imaginaire, présentait au Musée d'Art Moderne de Paris, au mois d'octobre dernier, une série de cinq représentations d'une performance dont le titre était «RYG IKKE NOGEN»: «DOS PAS NUS». Cette performance, d'environ une heure, regroupait, outre les sept membres danois, une trentaine de parisiens. Omniprésence des performeurs/prise de possession de tout l'espace du musée: escaliers, aires d'exposition, corridors, cafétéria, etc.. Corps couverts de bandelettes et/ou de peinture, corps marqués, dissimulés sous des vêtements lacérés. Les participants, isolés ou en petits groupes, muets, le regard fixe, marchent lentement en déchirant leurs vêtements. Un groupe de performeurs très maquillés passe devant les visiteurs en courant; des castagnettes fixées à leurs bras et à leurs chevilles scandent leurs pas. Au même moment, dans un autre espace, quatre filles sont couchées sur le sol, jambes nues, écartées, peintes en rouge. Le mouvement des acteurs, leurs poses figées, leurs gestes ralentis avaient un impact certain à l'intérieur de ce lieu: étonnante confrontation entre les «regardeurs» et les sculptures humaines, cybernétisées, insensibilisées. Impression saisissante, étrange sensation évoquant le trouble ressenti lors d'une exposition de Duane Hanson.

La peau du corps

par Daniel Guimond

Provenant sans doute du besoin de cacher quelque chose de sexuel cette chose à dire restée scellée donc simulée tout en donnant consistance tout se passe ainsi du point de vue de l'écriture quelque chose est à éclair cir de l'intérieur du processus qui me colle à la peau ayant tenté de saisir sur le vif tel ou tel détail de la vie quotidienne biaisée «et non, pas de décharge» il ne serait pas impossible qu'une nuance de vulgarité rende aux mots simplement ce que le locuteur veut leur rendre additionner les risques doucement prends ton temps je te répète martine il y a de ces choses pour nous calmer provisoirement éloignées du centre mes jambes l'urine serait ton retrait inconditionnel de leurs constructions tandis qu'au fond mes lèvres ne se rendraient pas plus loin s'alarmer à travers la nuit avec les voix dans nos têtes coupées du réel comme une décharge les phrases tournent en rond à l'intérieur de mon ventre tous ces noeuds m'attirent parce qu'il faut que ça bouge c'est un besoin du cul derrière son visage intime je la revoyais mais très très différente à cause de la distance entre les neuronnes

Son corps Lesbien à Monique Wittig

par Josée Yvon

«Tout a commencé avec le corps. Des corps en marche dans une rue sans boutiques, bordée de malsons nobles, mollement sinueuses. Cette rue, comme oubliée, les gens s'y remarquent, donc les corps, puisque des inconnus on voit surtout le corps. D'où viennent-ils ces corps? Ils sont couverts de signes, de stigmates, on sent qu'ils ont traversé des épaisseurs de fatigue, tout un humus de déceptions. Leur marche, leurs pas. Les vêtements comptent peu. Les visages sont moins perceptibles que les gestes. Des corps qui marchent... Cinq ou six pour toute la longueur de la rue. Des corps qui marchent...»

Les corps l’écho

par Alain Masson

1. «Je voudrais, l'entendait-on dire, mordre mes dents. Voici pourtant un petit nombre des expériences que je n'ai pu mener à bien avec mon corps: l'oublier, lui parier, le voir, le prendre. Comme s'il vivait dans la pièce voisine, je l'entends; mais il m'est Interdit de le surprendre: il se dérobe. Je souhaiterais des gestes sans fin, â se perdre dans un regard, en musique, les larmes aux yeux: tendus, déliés, continus comme un réseau multiple et délicat qui entraîne tout l'épiderme et chaque entraille, avant de se diffuser en sueur et en sang, de se distiller en bile et en sucs.

Entre le corps et la matière

par Jean-Pierre Séguin

Ma principale préoccupation est la recherche de différentes relations entre certains matériaux et mon corps. Pour ce faire, contrairement aux oeuvres précédentes où le corps intervenait sur une matière, j'interviens directement sur mon corps par l'addition et la superposition de matériaux tel que le papier, la corde et le tissu. J'utilise des matières qui peuvent facilement prendre les formes de mon corps pour que le lien entre la matière et le corps puisse se faire clairement. De cette façon, le corps devient matière et la matière par sa forme devient corps. Contrairement à mes actions mettant en situation le corps et la matière, ici ce n'est pas l'action d'intervenir qui est importante mais bien le résultat de cette action. Je ne démontre pas la série d'actions qui a permis la transformation du corps par l'addition de différents matériaux, mais plutôt le résultat visuel de ces actions.

Le 9° Festival International du Nouveau Cinéma Montréal ’80

par Gerald Baril

L'illustration en page couverture de Virus* du mois de novembre 1980 était un photogramme tiré de Done For, un des nombreux films qu'a donné à voir le 9e Festival International du Nouveau Cinéma du 1er au 10 novembre à Montréal. Ce festival connu autrefois sous le nom de Festival International du Cinéma en 16mm est la plus ancienne des manifestations du genre actuellement existante à Montréal (ou au Québec). Son intérêt réside dans une programmation largement internationale établie d'après des critères excluant les produits du circuit commercial dominant. Selon les dires mêmes des organisateurs «ce cinéma est le fruit de créateurs qui ont choisi la voie d'une expression plus difficile, correspondant cependant mieux aux besoins qu'ils ressentaient de «dire» la réalité actuelle, une réalité plus proche des interrogations que des réponses, plus proche des débats importants sur l'esthétisme, la dimension sociale du cinéma que du divertissement pur et simple... Ils ont choisi le refus du compromis, ils ont choisi de s'engager.»

Condensed Optica

par Claude Robitaille

Dans le dernier récit de science-fiction de Ly (plutôt passé inaperçu) nous somme témoins, à un certain moment, d'une scène touchante: une sorte de flux puissant mais amoureux (le démon s'est réfugié chez l'extra-terrestre) force une curieuse carapace longiforme jusqu'à l'éclatement, d'où l'on voit «sortir» une sphère rose, «à la fois douce et résistante», se rendant à plus puissant qu'elle. «Se rendant», car c'est dans ces termes qu'en parle le «héros» du récit: «Vous voyez là, SPONGGIA, la façon dont les habitants de TERRA se rendent à plus fort qu'eux: sous celle de leurs formes possibles qui les protégera le mieux. II est coutume dans ces régions de croire que la sphère protège mieux que toute autre forme d'abandon».

De l’allégorie au quotidien

par Pierre Fournier

L'ampleur prise par la littérature enfantine, et plus précisément par le conte, ouvre de nouvelles voies à la création au Québec. Grâce aux subventions des diverses instances culturelles et politiques et au désir de certains auteurs, nous retrouvons l'orientation actuelle d'un projet littéraire déterminant les intérêts fondamentaux de l'enfant. Dans l'ensemble de l'évolution du récit, le conte pour enfants a toujours été une sous-classe littéraire. Mais depuis quelques années une relance dans la création permet à ce genre de récit de s'adapter davantage à la vie, aux aspirations et à l'imaginaire de l'enfant. En fait, il n'existe pas de véritable définition apte à englober toutes les particularités du conte. Même s'il est un genre littéraire en soi, il est important de distinguer une certaine typologie dans le conte. Ainsi de nettes différences existent entre le conte merveilleux et le conte humoristique ou entre le conte moral et le conte animalier. Car l'image, le langage et le geste s'adaptent toujours à l'aspect structural du type de conte.