Le 22 septembre 2013, l’ensemble de l’Europe a eu les yeux tournés vers l’Allemagne. La victoire des chrétiens-démocrates (CDU), portés par la popularité de la chancelière, était certaine mais les incertitudes sur le score des différents partis posaient la question de la composition de la coalition qui serait amenée à diriger l’Allemagne pour les quatre prochaines années. La débâcle du Parti libéral (FDP) et la perspective d’une grande coalition avec les sociaux-démocrates (SPD) ont suscité des espoirs au sein de la majorité au pouvoir en France et dans les pays en crise. Mais dans le même temps, la victoire d’Angela Merkel a attisé les craintes d’une poursuite de la politique menée jusqu’à présent. Entre ces deux sentiments, le scénario d’une continuité infléchie à la marge s’avère pourtant le plus probable. En effet, la politique européenne fait l’objet en Allemagne d’un assez large consensus. En outre, le score de la CDU repose en grande partie sur la satisfaction des citoyens allemands envers la gestion de crise de la chancelière.
L’Allemagne européenne malgré elle ?
L’Allemagne, européenne malgré elle ?
Déconstruire la violence démographique en Malaisie
La Malaisie fait parler d’elle dans les médias à propos de l’exploitation de l’huile de palme. Elle reste pourtant un pays encore mal connu en France. La presse avait relaté en son temps les élections de mai 2013, qui avaient vu un certain désaveu de la coalition au pouvoir, puis, en août dernier, la visite du Premier ministre, Jean-Marc Ayrault. Les échanges qui ont eu lieu au cours de cette visite sont emblématiques de la relation franco-malaisienne. Priorité y a été donnée aux intérêts économiques de la France sur les droits humains et les préoccupations environnementales. Les liens économiques entre la France et la Malaisie l’emportent nettement sur les liens culturels, historiques ou simplement humains. La plupart de ceux qui connaissent la Malaisie sont familiers avec les publicités touristiques « Malaysia, Truly Asia » (Malaisie, l’Asie authentique). Pour beaucoup, elles sont la seule manière de voir ce pays, leur seule grille de lecture. Il n’est donc pas surprenant que beaucoup de ce qui a été écrit sur les dernières élections n’ait pas dépassé un cadre narratif soigneusement construit, en parfaite concordance avec ces images publicitaires. De surcroît, les observateurs internationaux ont souvent été complices, peut-être invo-lontairement mais néanmoins de manière inexcusable, de la diffusion d’une façon de voir la Malaisie qui, au service de certains intérêts, est aveugle aux groupes les plus vulnérables de ce pays, plus particulièrement aux peuples autochtones, mais aussi aux travailleurs migrants, aux réfugiés et aux demandeurs d’asile.
Ce que le décrochage scolaire nous apprend de l’école
Une rentrée particulière Le 20 septembre 2012, au lycée Alfred Kastler de Cergy était inauguré le Lycée de la Nouvelle Chance1, une nouvelle structure à destination des lycéens décrocheurs de l’Académie de Versailles. Ce jour-là, 38 élèves, âgés de 18 à 24 ans, faisaient leur rentrée en classe de Première pour préparer un bac en 2 ans, après des mois, parfois des années de rupture avec le système scolaire, pendant que les médias couvraient l’événement, filmant dans les classes, interrogeant les jeunes sur ce que signifiait pour eux ce retour à l’école. Des élèves qui étaient perdus de vue, ignorés et parfois rejetés de l’institution, étaient soudain exposés en pleine lumière, sous le feu des médias, au moment sans doute le plus difficile : celui du premier pas vers le retour à une école à la fois désirée et redoutée, tant elle réactivait chez certains de mauvais souvenirs. D’emblée, ces élèves étaient placés dans une situation qui les renvoyait à la fois à ce qu’ils étaient, des élèves « différents des autres » par leur parcours, ce qui justifiait en partie la présence des médias, et à ce qu’ils aspiraient à (re) devenir, des élèves « comme les autres ». Loin d’être anecdotique, cette rentrée, placée sous le signe du « même » et de « l’autre », de « l’ordinaire » et de « l’extraordinaire », annonçait la posture délicate que l’équipe enseignante aurait à tenir toute l’année, un équilibre instable propre à une mission particulière : celle d’accompagner des jeunes à la fois semblables et différents, ceux qu’on appelle des « décrocheurs ». Mais qui sont-ils, ces « décrocheurs » ? Sont-ils vraiment si différents des élèves qui n’ont jamais interrompu leur scolarité ? Pourquoi ont-ils décroché ? Sont-ils « décrocheurs » ou « décrochés » ? Pourquoi et comment raccrochent-ils ? Mais surtout, de quoi sont-ils le symptôme ? Quelle image de l’école nous renvoie le miroir du décrochage ? À quelles questions pédagogiques et éducatives nous poussent à réfléchir ces élèves qui, chaque année, quittent le système scolaire en cours de route, parfois avec fracas, mais le plus souvent sans faire de bruit ?
Pour une autre réforme des retraites
Écoutant le Livre de l’Exode « un pays ruisselant de lait et de miel » (Ex. 3,8) et entendant ses camarades parler de prospérité, d’abondance et de bonheur, un adolescent s’exclame « la Parole décrit un pays avec des vaches et des abeilles » ! À l’image de cette anecdote, ceux qui parlent de retraite oublient parfois sa raison d’être. Le raisonnement courant est simple : si notre régime par répartition est en déficit, c’est parce que nous vivons plus vieux. Or la durée moyenne d’activité (38 ans pour un homme) est de facto inférieure à la durée de cotisation requise (41 ans en 2012). Il est donc illusoire d’espérer un retour à l’équilibre financier en demandant aux salariés de travailler plus longtemps. La création de nouvelles ressources, si elle peut à court terme pallier les déséquilibres, n’apporte pas non plus de réponse fondamentale aux évolutions profondes, non seulement démographiques, mais aussi des parcours de vie. Il est urgent de repenser la question des retraites avec un paradigme qui replace la personne humaine au cœur du système.
Œuvres de la main ou de l’esprit, un voyage à la Renaissance
Le printemps de la Renaissance, La sculpture et les arts à Florence, 1400-1460 Musée du Louvre, Hall Napoléon, 75001 Paris Ouvert tous les jours sauf le mardi de 9 h 45 à 17 h 45 (mercredi et vendredi de 9 h 45 à 21 h 45) Rens.: 01 40 20 53 17 et www.louvre.fr Jusqu’au 6 janvier 2014 Les origines de l’estampe en Europe du Nord (1400-1470) Musée du Louvre, aile Sully, 75001 Paris Ouvert tous les jours sauf le mardi de 9 à 17 h 30 (mercredi et vendredi de 9 à 21 h 30) Rens.: 01 40 20 53 17 et www.louvre.fr Jusqu’au 13 janvier 2014 La Renaissance et le rêve, Bosch, Véronèse, Le Greco... Musée du Luxembourg, 18 rue de Vaugirard, 75006 Paris Ouvert tous les jours de 10 à 19 h 30 (lundi et vendredi de 9 à 22 h) Rens.: 01 40 13 62 00 et www.museeduluxembourg.fr Jusqu’au 26 janvier 2014
Lucrèce Borgia
La note d’intention porte parfois bien son nom. Quand Lucie Berelowitsch présente l’esprit de sa mise en scène, elle ne manque pas de bonnes intentions : « la pièce est faite d’émotions primaires », elle a « un côté brutal et simple », elle « parle de tout ce qui relève des fantasmes, de tout ce qu’il y a de caché, pulsions et forces ». De fait ce que raconte Lucrèce Borgia n’est pas ordinaire : à Venise, au moment du carnaval, un jeune homme aventurier, honnête et courageux dont la naissance reste mystérieuse (Gennaro) se trouve l’objet de l’affection d’une femme que ses amis démasquent comme étant l’infâme et criminelle Lucrèce Borgia. À Ferrare, elle sauve la vie de son jeune protégé que son quatrième mari avait décidé d’empoisonner mais décide aussi de se venger de l’insulte publique qu’elle a subie à Venise en offrant un banquet empoisonné aux jeunes amis de Gennaro qui, pour son malheur, finit par se joindre à eux. Le finale montre Gennaro refusant de se sauver par fidélité envers Maffio, son frère de sang, qu’il décide de venger en tuant Lucrèce qui lui avoue finalement et dans un ultime soupir être sa mère. Le rideau tombe sur cet aveu qui fait du jeune homme sans nom le fils incestueux et parricide d’une famille à l’innommable renom. Dans cette intrigue mélodramatique qui ne dément pas une généalogie élisabéthaine ou une filiation romanesque, il y avait en effet matière à sortir Hugo d’un certain naturalisme qui ne l’a jamais servi (pas plus que l’outrance parodique du reste) ; d’autant plus qu’on y retrouve les puissances structurelles de l’imaginaire hugolien comme la carnavalisation généralisée (la mascarade du monde, l’intronisation-detronisation du héros funeste), la subversion du mélodrame (et l’intériorisation des polarités, bien et mal confondus et réversibles), le jeu des doubles et du dédoublement, le drame de la parole (l’anankè des mots : le serment, la parole-matière ou arachnéenne qui fige les personnages dans la toile de la fatalité invoquée et provoquée). On pouvait trouver dans cette liste non-exhaustive une matière à probation pour les intentions affichées, pourtant vite démenties par la convention, la précipitation et quelque chose comme un glacis qui fige le jeu en autant de postures académiques, la scénographie en décorum kitsch et la représentation en une série de vignettes pittoresques. La note d’intention avait décidément bien raison de rappeler que ce qui devait importer c’était en effet « ce qui se joue entre ce qu’on nomme et ce qu’on tait ».
La tragédie d’Hamlet
Les intentions d’un tel spectacle restent déroutantes, même si Dan Jemmet est dorénavant bien connu pour ses mises en scène qui se veulent excentriques ou drolatiques : « le metteur en scène anglais Dan Jemmet est familier de l’œuvre de Shakespeare qu’il revisite (sic) avec humour et sans ménagement » (Programme du spectacle). L’anglicisme maladroit et l’emploi d’un terme relevant du lexique médiatique (voire télévisuel) sonnent comme un aveu esthétique : il s’agit en effet de « revisiter ». Jemmett ne modernise pas Shakespeare, il le post-modernise. En d’autres termes, puisque l’essentiel est hors d’atteinte, il ne reste plus que le futile – plus exactement le ludique : Dan Jemmet a trouvé bon d’installer ce qu’il considère comme un huis-clos familial au beau milieu du club-house d’un cercle d’escrime (juke box, jeu de fléchettes, bar et surtout toilettes !) avec comme seul alibi scénographique le duel final. Ce déplacement n’est pas simplement circonstanciel, il décentre tout l’intérêt du spectacle vers la mise en scène au détriment de la tragédie : le spectateur scrute dès lors le jeu entre le texte parlé et le contexte décalé. Le metteur en scène réussit là un double prodige : tout en brisant l’illusion théâtrale (on se désintéresse de l’action, du reste comme Podalydès qui hante un Hamlet étrangement absent – et ce n’est pas inintéressant), il empêche toute réelle affection de la sensibilité ou de la pensée par une incessante distraction. La pièce devient une suite de numéros où chaque personnage vient faire son show, faire un « truc » pour amuser la galerie (le clou d’or revenant au ventriloque Rozencrantz et son inénarrable chien-marionnette Guildenstern). Ces décalages nous ramènent finalement à l’essentiel : le metteur en scène voulait nous parler de sa nostalgie des années 70 et surtout de la télévision de cette époque que rendent parfaitement les costumes bariolés des personnages en vedettes de sketchs d’émissions de variétés. C’est cette esthétique vintage en effet qui étonne et fait sourire au détriment des comédiens, ridiculisés par des perruques improbables ou des polos tergal flashy. Quant au spectacle où règne une ambiance potache de carnaval, un peu épate-bourgeois, il tourne à la parodie burlesque, au travestissement (sur le modèle du Virgile travesti de Scarron). Ce ravalement de façade est bien rattrapé par le spectre de sa postmodernité : celui d’Offenbach1 par exemple. Mais c’est peut-être là tout ce qu’on peut demander à cet art exténué : drainer un public habitué de ce genre d’entertainment où l’on s’encanaille à bon compte… Et sinon, loin de toute cette esthétique du « spectacle », on peut aussi relire le livre de Jan Kott, Shakespeare notre contemporain, préfacé par Peter Brook : ça parle de théâtre.
Inside Llewyn Davis
L’hommage rendu par la Cinémathèque Française au cinéma des frères Coen ne pouvait pas tomber mieux qu’aujourd’hui, alors que sort en salles ce beau film hivernal, dans lequel on pourrait voir légitimement le parachèvement d’une œuvre vieille de trente ans déjà. Autour du destin de Llewyn Davis, chanteur folk imaginaire dont le film retrace le chemin de croix, on identifiera sans mal, en effet, quelques obsessions connues des Coen, à commencer par une passion jamais démentie pour les personnages de perdants, et une tonalité qui leur est propre où s’entremêlent subtilement la cruauté et la compassion. Toutefois, et c’est là la marque des grands cinéastes, Inside Llewyn Davis (comme le précédent et magnifique A serious man) a ceci d’élégant qu’il récapitule les thèmes chers aux Coen sans jamais prétendre à la grande œuvre : il se présente sous les atours d’un film modeste, presque mineur, loin en tout cas de la forfanterie qui pouvait rebuter dans certains de leurs films les plus vus. Avant de rentrer dans le vif du sujet, on recommandera, par ailleurs, la lecture de Oh Brothers, premier ouvrage critique sérieux consacré aux frères, édité par les éditions Capricci à l’occasion de la rétrospective. Marc Cerisuelo et Claire Debru y éclairent judicieusement, entre autres, l’inspiration trouvée par les Coen dans l’histoire et la culture populaire de l’Amérique.