On se perd toujours à Londres. La City a beau avoir vu pousser, au cours de la dernière décennie, des gratte-ciels transparents qui prolongent désormais à la verticale une ville déjà étalée à l’infini sur l’axe horizontal, le plan au sol reste celui d’une ville médiévale aux rues sinueuses, qu’aucun dégagement à la baron Haussmann n’est venu rendre plus lisible. Le métro, ou le système ferroviaire, sont parmi les plus anciens au monde ; mais ce caractère pionnier fait aussi leur faiblesse : conçues par l’initiative privée, les lignes, gérées à l’origine par des compagnies rivales, se croisent parfois sans correspondance, deux gares à quelques centaines de mètres de distance l’une de l’autre servant de tête de pont à des réseaux différents, rattachés tant bien que mal après coup, et qui, mis en place il y a plus d’un siècle, peinent à gérer les foules de la métropole d’aujourd’hui.
Numéro 418
L’ancrage européen du Royaume-Uni en question
Intervenir au Mali : le retour du politique
L’intervention militaire de la France au Mali engagée le 11 janvier 2013 avec l’Opération Serval a pris par surprise l’opinion aussi bien que la plupart des commentateurs. Cette intervention offensive et sur la durée diffère en effet complètement de celles qui l’ont précédée depuis cinquante ans au Sud du Sahara, y compris des actions menées jadis dans le Nord du Tchad pour combattre une rébellion persistante.
La lecture à l’ère numérique
La question de la lecture chez les jeunes est malaisée à traiter car elle mêle, le plus souvent sans le dire, des interrogations culturelles et des considérations morales et politiques. Le livre s’est trouvé symboliquement placé dans une position d’hégémonie, concentrant les valeurs de la culture et du savoir, de la civilisation, de la transmission, des relations sociales et des liens intergénérationnels. Promesse culturelle et scolaire (la lecture est au fondement des apprentissages de l’école républicaine), promesse morale et politique (la lecture fonde la citoyenneté, tant la participation individuelle à la communauté politique des sociétés que le fait de culture lui-même contre la barbarie de « ceux qui sont incompréhensibles »1) et promesse éthique (élévation de soi et des sociétés futures par les vertus civilisatrices du texte auprès des jeunes)… Cette vision de la lecture et du livre, qui confine au sacré, est aujourd’hui malmenée, notamment face aux technologiques numériques : crise de l’édition, crise de la lecture sont évoquées en parallèle avec une crise des valeurs voire des civilisations. Dans ce contexte, la question de la lecture des jeunes est souvent traitée comme un problème, concernant autant l’activité lecture et l’économie du secteur afférent que la socialisation des jeunes générations (notamment par la question de l’affaiblissement du système scolaire), ou plus largement les relations entre les générations et le lien social. Entre intérêt pour les univers culturels spécifiques d’un âge de la vie et réflexion prospective sur le devenir des objets culturels, de leur place dans la société et dans le lien social intergénérationnel ainsi que dans la construction post-moderne de l’individu, quelle est la place de la question de la lecture ?
Les familles recomposées
Familles recomposées. L’expression, après hésitations, a été proposée par des chercheurs avant de pénétrer le vocabulaire courant. Ces cellules familiales aux contours incertains, tant pour leurs membres que pour les observateurs, ne sont pas une entière nouveauté. Les recompositions familiales étaient autrefois courantes, et souvent rapides. Consécutives à des décès, elles passaient par le remariage d’un veuf ou d’une veuve. Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, les unions étaient rompues par la mort d’un des deux conjoints alors qu’aujourd’hui la cause principale des ruptures est le divorce (ou la séparation dans les couples non mariés). Les recompositions familiales concernaient autrefois des orphelins, qui trouvaient ainsi un beau-père (parâtre) ou une belle-mère (marâtre). Aujourd’hui, les enfants des recompositions sont les enfants des désunions.
L’argent, rempart de la liberté ?
Écrivain, philosophe et homme politique du début du XIXe siècle, Benjamin Constant a traversé toutes les vicissitudes politiques de la France révolutionnaire et post-révolutionnaire. Contempteur de la Terreur jacobine, sénateur sous la Restauration, il se rallie à Napoléon sous les Cent-Jours. Parfois taxé d’opportunisme, il a toujours allié l’action et la réflexion. Dissipant les illusions rousseauistes, cet apôtre de l’individualisme aurait perçu les dangers de la souveraineté populaire et mis les droits sacrés de l’individu au centre de la réflexion politique. C’est pourquoi de nombreux commentateurs voient en lui l’un des prophètes du libéralisme moderne. En un sens, cette appréciation est loin d’être erronée : sa conception de la liberté n’est-elle pas à l’origine d’une pensée diffuse qui domine encore largement notre époque ?
De qui François est-il le nom ?
Don Quichotte : un mythe pour notre temps ?
Il y a déjà plus de six ans qu’en décembre 2006, les médias se sont fait l’écho de la lutte engagée par Les Enfants de Don Quichotte. Lutte collective, mais qui n’en a pas moins bientôt vu s’affirmer le leadership d’Augustin Legrand, au sein d’un mouvement déterminé à sensibiliser les pouvoirs publics et l’opinion au sort des SDF, tant à Paris qu’en province. D’où une série d’actions spectaculaires, telles que l’installation, sur les bords du canal Saint-Martin, de tentes destinées à accueillir les sans-abris. Il n’entre pas dans notre propos de retracer l’histoire de ce mouvement, ses coups d’éclat, ses difficultés, ses nouvelles initiatives, enfin, consécutives aux obstacles rencontrés. Ce que nous voulons retenir ici, c’est le nom que ses fondateurs ont choisi de lui donner. Un nom que nous retrouvons un peu plus tard au point de départ d’une tout autre entreprise, éditoriale cette fois. En septembre 2009, Stéphanie Chevrier lance les Éditions Don Quichotte. À l’issue d’un parcours professionnel qui l’a conduite tour à tour chez Hachette, Calmann-Lévy et Flammarion, elle inaugure sa propre maison en publiant À voix basse, un livre de souvenirs de Charles Aznavour. Depuis lors, lecteurs et critiques ont réservé un excellent accueil à ses titres.
Le mythe jésuite
Le terme même de « jésuites », dont on affubla rapidement les Compagnons de Jésus, participe au façonnement du mythe. Car ce mot n’a ni été utilisé par Ignace, ni officialisé dans les Constitutions, ou dans un document pontifical avant le Concile de Trente. Et pour cause : il est péjoratif, désignant par antiphrase dès le Moyen Âge le faux dévot, le pharisien. C’est donc de façon négative que l’on nomme d’emblée les compagnons d’Ignace, comme l’écrit amèrement Pierre Canisius dès 1545. « Jésuite » a d’ailleurs conservé cette connotation péjorative, et ce dans toutes les langues européennes, comme le confirment les dictionnaires depuis le XVIIe siècle jusqu’à nos jours qui font du jésuite un « hypocrite », voire un « retors ». Ainsi le nom même des jésuites porte-t-il la trace du mythe qui a hanté une partie de leur histoire
Philippe Halsman
L’acteur et le réalisateur Jacques Tati, 1954.
Le romantisme noir ou l’envers des Lumières
L’Ange du bizarre. Le romantisme noir, de Goya à Max Ernst
Chagall et l’iconographie au xxe siècle
Quelle est la place de Marc Chagall (1887-1985) dans l’histoire de l’art du XXe siècle ? Chaque exposition qui lui est consacrée, et il y en a souvent, tant son œuvre abondante conserve la faveur du public et rassure les institutions culturelles soucieuses d’équilibrer leur budget grâce au nombre d’entrées payantes, provoque la perplexité des commentateurs. Celle que le musée du Luxembourg présente à Paris – une centaine de peintures, de dessins et d’estampes – ne fait pas exception.
Dénommé Gospodin
Benoît Lambert, Directeur du Centre Dramatique National – Théâtre Dijon-Bourgogne depuis janvier 2013 –, poursuit son feuilleton théâtral politico-excentrique, « Pour ou contre un monde meilleur », avec ce neuvième épisode, tandis que tournent dans toute la France quelques-uns des épisodes précédents, dont Bienvenue dans l’espèce humaine, We are la France (2008), et surtout le magistral et jubilatoire Que faire ? (le retour)1. Il ne s’agit pas cette fois-ci d’un texte original, d’un collage de textes ou d’une adaptation : Benoît Lambert a choisi de monter la pièce d’un jeune auteur allemand très remarqué et déjà récompensé outre-Rhin, Philipp Löhle.
Le prix Martin
Le Prix Martin (1876, avant-dernière grande œuvre de Labiche) n’est pas seulement connu pour ses répliques totalement absurdes qui font mouche (« seul Dieu a le droit de tuer son semblable », par exemple), mais aussi pour le soutien enthousiaste que Flaubert lui donna lors de sa création. C’est d’ailleurs, semble-t-il, une des directions évidentes de la dramaturgie de Peter Stein (assisté de Jean Jourdheuil) : la pièce se réduit aux péripéties d’un duo d’hommes qui rappelle bien évidemment le couple de Bouvard et Pécuchet. La mise en scène est limpide et les ressorts du burlesque y sont parfaitement sollicités : Agenor et Ferdinand (Laurent Stocker et Jacques Weber, sublimes de grotesque) rappellent physiquement et moralement le duo improbable de Laurel et Hardy. Plus profondément, on a sans doute affaire ici à un comique célibataire tant les deux personnages cherchent à se dé-marier : l’un de sa femme, l’autre de sa maîtresse (c’est en l’occurrence, la même, la femme de Ferdinand Martin : Loïsa, interprétée par Christine Citti).
Les Amants passagers
Comment se porte le cinéma espagnol ? À en juger par le dernier film du plus célèbre de ses auteurs, Pedro Almodóvar, il subit une crise esthétique au moment même où il s’efforce de métaphoriser dans ses scénarii « la » crise, celle, d’abord économique, qui mine le sud de l’Europe. Que l’avion madrilène des Amants passagers, au lieu d’avancer vers Mexico, tourne en rond au-dessus de La Mancha (la région d’origine du cinéaste) augure en effet, bien plus que d’une allégorie d’un pays en bout de course, d’une impasse créatrice chez Almodovar, qu’on a connu plus inspiré. Condamnés à attendre qu’une piste se libère pour effectuer un atterrissage d’urgence, les passagers drogués à leur insu par l’équipage offrent au spectateur un miroir de son propre ennui.