Chair

L’esth/étique de la chair

par André-Louis Paré · trad: Oana Avasilichioaei

L’étymologie latine du mot « chair » — carnem — signifie viande, composante prédominante du corps humain ou animal, essentiellement constituée de tissus musculaires recouverts par la peau. Mais la notion de chair renvoie aussi à la couleur de la peau, laquelle n’est certes pas unique, mais d’une infinie variété de teintes. Si la chair en art fut longtemps une affaire de rendu pictural, c’est que la sculpture s’est principalement intéressée à la forme. Il faudra attendre l’avènement de l’art contemporain pour que l’exploration de la « peau sculpturale » puisse traiter autrement l’idée de la chair.

Renaissance de la chair : exposer aujourd’hui le sexisme du passé

par Itay Sapir · visuels: Titien, Barbara Kruger, Mary Reid Kelley, Patrick Kelley, Lucie Chan · trad: Bernard Schütze

La chair, dans l’art pictural européen de la première modernité, est féminine et pas seulement par son genre grammatical. Le corps masculin y est considéré comme ayant une structure, des proportions, en un mot, une anatomie. Les femmes, elles, seraient un amas de chair : une texture sensuelle, une douceur informe. Après tout, déjà Aristote enseignait que c’est le père qui donne la forme à l’enfant à naître, façonnant de la sorte la matière contribuée par la mère1. Cette vision de la différence de genres a eu une postérité exceptionnellement longue.

Peaux sculpturales : la surface en tant que contenu

par Sarah Moore Fillmore · visuels: Sarah Maloney, Janice Wright Cheney, Amy Malbeuf, Ursula Johnson · trad: Colette Tougas

En histoire de l’art occidental, la peau a été un enjeu en peinture, principalement, alors que la forme a plutôt été l’apanage de la sculpture. À l’exception de figures réalisées par Rodin et quelques autres, la pierre, le bronze et le bois sont moins aptes à rendre l’élasticité de la chair ou à évoquer la chaleur du corps humain, et ce, en raison de leur matérialité froide et dure. Avec l’érosion relativement récente des catégories et des partis pris traditionnels, la sculpture, en particulier celle pratiquée par les femmes ou par des artistes s’identifiant aux femmes, s’est tournée vers des thèmes — comme le personnel, le domestique, le corporel — pour la plupart ignorés tout au long de l’histoire de cette discipline.

Perpétuer la mémoire du génocide arménien : The Flesh Is Yours, The Bones Are Ours (2015) de Michael Rakowitz

par Mehmet Berkay Sülek · visuels: Michael Rakowitz · trad: Nathalie de Blois

The Flesh Is Yours, The Bones Are Ours [La chair est à vous, les os sont à nous] est une expression que tout enfant turc entend ses parents dire à ses instituteurs. Elle témoigne du respect absolu que les parents ont pour les stratégies appliquées à l’école au nom de l’éducation et pour la politique stricte du gouvernement turc en matière d’enseignement. Michael Rakowitz a retenu cette expression pour évoquer un sujet délicat abordé par la 14e Biennale d’Istanbul (2015) : le génocide arménien ordonné par le gouvernement ottoman en 1915.

Peau(x) poreuse(s)

par Justine Kohleal, Tak Pham · visuels: Jes Fan, Azza El Siddique · trad: Luba Markovskaia

La peau se souvient. C’est une frontière que traversent des savoirs incarnés, personnels comme culturels1. Avec leurs installations sculpturales, vidéo et immersives, Azza El Siddique et Jes Fan réinventent la chair en tant que matériau spatial et fluide, une surface poreuse capable à la fois de recevoir et d’émettre des informations. En brouillant la frontière entre notre peau et celle du monde, les oeuvres d’El Siddique et de Fan font fondre les cadres institutionnels qui engendrent des corps dits « normatifs ».

Entre les océans et les blessures : remarques sur les pratiques artistiques anthropophages contemporaines

par Luísa Santos · visuels: Denilson Baniwa, Anna Maria Maiolino, Adriana Varejão · trad: Catherine Barnabé

Du modernisme de la fin des années 1920 au tropicalisme des années 1960 et jusqu’à aujourd’hui, les artistes brésilien·ne·s ont adopté les concepts et conceptions de l’anthropophagie. Alors que la pratique artistique d’Anna Maria Maiolino (née en 1942 à Scalea en Italie, vit au Brésil depuis 1960) est représentative du tropicalisme, celles d’Adriana Varejão (née en 1964 à Rio de Janeiro) et de Denilson Baniwa (né en 1984 à Barcelos)1 témoignent de la période contemporaine.

Une “bombe visuelle ” pour un pays à moitié endormi : la diva clandestine chilienne du grotesque sexuel

par Julia Eilers Smith · visuels: Hija de Perra · trad: Maryse Arseneault

Au mois d’août 2009, Producciónes Bizarre organise un événement en boîte de nuit au centre-ville de Santiago, au Chili, où l’artiste Hija de Perra se présente sur scène en robe et voile de mariée, apparemment enceinte, le visage peint en blanc sous ses épais sourcils noircis. Après avoir bu une gorgée de bière, elle sort un couteau qu’elle lèche lascivement pour ensuite se poignarder le ventre « engrossé » d’où elle extrait de longs tentacules visqueux, fabriqués à partir de serpents mouvants en bois et glissés dans un sac rempli d’eau.

En carne propria : la chair à l’oeuvre chez Tania Bruguera

par Analays Alvarez Hernandez · visuels: Tania Bruguera · trad: Käthe Roth

Artiste et activiste cubaine exilée aux États-Unis depuis la fin 2021, Tania Bruguera est connue pour son exploration de l’intersection entre pouvoir, contrôle et citoyenneté. Au-delà de l’utilisation du corps dans ses actions — et non pas « performances », car Bruguera ne les discerne pas en tant que telles1 —, la chair y apparaît à partir de la deuxième moitié de la décennie 1990. Or, depuis le milieu des années 2010, elle va acquérir un rôle plus révélateur alors que l’agir politique de l’artiste se fait lui-même chair.

Carnivorisme numérique : un entretien avec Philippe Hamelin

par Laurent Vernet · visuels: Philippe Hamelin · trad: Bernard Schütze

Par l’image de synthèse, Philippe Hamelin donne vie à la chair. Que l’on pense à son animation Lèvres bleues (2020) ou encore à celles présentées, en 2017, sous le titre Carnations, à la Galerie Leonard & Bina Ellen de l’Université Concordia (commissaire : Michèle Thériault), ses oeuvres jouent sur les tensions qui se déploient entre le vivant et sa transposition numérique. De cet échange sur la chair, dans le travail de l’artiste, se dégage une réflexion sur le réel comme la viande dont se nourrit l’image de synthèse.

59e édition de la Biennale de Venise, The Milk of Dreams

par Julie Richard · visuels: Delcy Morelos, Simone Leigh, Shuvinai Ashoona, Marguerite Humeau, Hannah Levy, Cecilia Vicuña, Barbara Kruger, Stan Douglas,

L’album pour enfants Le lait des rêves1 de l’autrice surréaliste Leonora Carrington prête son titre à la 59e édition de la Biennale de Venise. L’événement retardé d’un an, vu les incertitudes provoquées par la pandémie de COVID-19, a néanmoins lieu dans une période de perturbations mondiales politiques, climatiques et sanitaires. Ces problématiques sont bien sûr confrontées de plein fouet par les oeuvres de la riche et éclectique programmation artistique déployée dans les pavillons nationaux ainsi que dans le cadre de l’exposition internationale. Commissariée par l’Italienne Cecilia Alemani, elle regroupe 213 artistes provenant de 58 pays dont, pour une première fois, une majorité de femmes et de personnes de la communauté LGBTQIA+.

Manif d’art 10, Les illusions sont réelles

par Nathalie Bachand · visuels: Karen Tam, Michel de Broin, Karine Payette, Gillian Wearing, Pierre Huyghe

Sous le thème Les illusions sont réelles, la Manif d’art 10 a proposé aux publics un ensemble d’oeuvres qui, comme le texte de présentation le mentionne, font usage de trompe-l’oeil, de stratégies de détournement et autres tours de passe-passe. Présentée au Musée national des beaux-arts du Québec (MNBAQ), la portion principale de l’événement mettait en vedette de nombreux artistes internationaux, canadiens et québécois.

Flesh Arranges Itself Differently

par Maximiliane Leuschner · visuels: Michael Dean

Flesh Arranges Itself Differently opens with art-historical representations of the human form. Early anatomical prints and drawings by William Hogarth, William Cowper and Robert Macaulay Stevenson show lean muscular male bodies. They are placed in dialogue with four of Miriam Cahn’s painted spectral bodies, emanating from four warmly toned canvases like reawakened X-radiographs with visible female genitalia. Cahn’s figures hold the visitor’s gaze; their agency remedies how women have been depicted in art history—transforming from passive, decorative props (such as the many reclining nudes) into domineering and lively subjects.

Jeffrey Poirier, Pando

par Geneviève Thibault · visuels: Jeffrey Poirier

« Pando » est un mot latin qui signifie « je m’étends ». La première personne du singulier a du sens : ce qui apparaît à première vue comme une forêt de peupliers faux-trembles est considérée, par les scientifiques, comme un seul et unique individu végétal1. Situés dans la partie Centre-Sud de l’Utah, les 47 000 arbres génétiquement identiques qui composent la colonie de Pando sont tous reliés au même système racinaire qui serait âgé de plusieurs milliers d’années. Non seulement Pando est un des plus grands organismes vivants du monde, mais il pourrait aussi être le plus ancien.

Crónicas: Resonancias, Chroniques : Résonances, Chronicles: Resonances

par Aude Sirey du Buc de Ferret · visuels: Roberto de la Torre

L’exposition collective Crónicas: Resonancias est le fruit d’une étroite collaboration entre la SBC galerie d’art contemporain et le musée mexicain Ex Teresa Arte Actual, dont la mission est de soutenir la recherche, la production et la diffusion d’un art contemporain expérimental. Les commissaires de l’exposition, Maribel Escobar Varillas, Melisa Lio, Valeria Macias Rodriguez et Fernando Tito Rivas, souhaitaient présenter au public québécois un tour d’horizon des multiples formes prises par les violences, les oppressions, les inégalités et les discriminations majoritairement au Mexique, ailleurs en Amérique, voire plus loin dans le monde, à travers 18 oeuvres réalisées au cours de la dernière décennie par des artistes majoritairement latino-américain·e·s.

Élaine LaBrie, Le moindre geste

par Christian Roy · visuels: Élaine LaBrie

Avec Le moindre geste, Élaine LaBrie revenait en terrain de connaissance sur les lieux d’un projet de résidence intitulé Vacance (2020), en écho tant à la suspension du programme régulier de la Galerie d’art Antoine-Sirois de l’Université de Sherbrooke pour cause de pandémie qu’à l’intrication concomitante du vide et du plein, de la présence et de l’absence1. Cette résidence fut documentée par l’artiste vidéaste Myriam Yates dans une vidéo présentée dans l’Espace Invitation attenant à la même galerie, en contrepoint à l’exposition de cette année.

Anicka Yi, Metaspore

par Sandra Barré · visuels: Anicka Yi

Au Pirelli HangarBicocca, à Milan, l’exposition Metaspore, dont le commissariat est assuré par Fiammetta Griccioli et Vicente Todolí, est le premier solo de l’artiste américano-coréenne Anicka Yi en Italie et s’envisage comme une rétrospective. Produites de 2010 à nos jours, les oeuvres, vivantes pour la plupart, illustrent et permettent l’expérience du processus de prolifération, cher à la plasticienne. Le titre, néologisme inventé par cette dernière, accolant le préfixe « meta » à « spore », évoque la vitale omniprésence de la contamination et invite à réfléchir au monde de micro-organismes qui l’alimente.

Cynthia Girard-Renard, Petites baleines à dents, volet 2

par Jean-Philippe Uzel · visuels: Cynthia Girard-Renard

Les animaux sont omniprésents dans le travail de l’artiste visuelle et poète Cynthia Girard-Renard. Il s’agit souvent d’animaux imaginaires ou loufoques (des licornes, des souris volantes…) qui, un peu comme le bestiaire anthropomorphe du récit médiéval Roman de Renart, nous parlent plus des travers des humains que d’eux-mêmes.

Nicoline van Harskamp, Englishes

par Jessica Minier · visuels: Nicoline van Harskamp

L’exposition Englishes, à la Galerie UQO, présente une sélection d’oeuvres issues de la série éponyme produite de 2013 à 2016 par Nicoline van Harskamp. Dans cette série, l’artiste néerlandaise considère la langue anglaise parlée et altérée par des locuteur·rice·s pour qui il ne s’agit pas d’une langue maternelle. Non seulement s’intéresse-t-elle à l’anglais comme ressource linguistique commune, mais elle met en valeur une dissolution de l’anglais en plusieurs anglais qui laissent transparaître leur identité.

Nadège Grebmeier Forget, pour ce qui brille, minutie / for that which shines, minutiae

par Ariel Rondeau · visuels: Nadège Grebmeier

En 2020, alors que la pandémie de la COVID-19 battait son plein, le centre d’artistes AXENÉO7 a mis sur pied le programme Autorésidences, une série de 20 résidences autonomes réalisées à distance ayant pour but de « contribuer à l’amélioration des conditions de production et à la diversification des modes de présentation [des projets des artistes] ». Parmi les propositions retenues figurait celle de Nadège Grebmeier Forget qui, deux ans plus tard, expose en salle les fruits de ses recherches.

Ta’n a’sikatikl sipu’l | Confluence

par Ray Cronin · visuels: Duane Linklater, Edward Ned Bear

“Confluence” means meeting—of rivers, of peoples, of minds—in both English and French, an apt title for an exhibition predicated on fostering dialogue between settler and Indigenous communities. The Art Gallery of Nova Scotia has featured exhibition spaces dedicated to First Nations and Inuit artworks for over twenty years, but this opening of Ta’n a’sikatikl sipu’l | Confluence, curated by Aiden Gillis and Michael McCormack, marks the gallery’s most decisive step toward an acknowledgment of the centrality of the Mi’kmaq nation’s stories, language and history in what is the largest art gallery in their traditional, unceded territories of Mi’kma’ki.

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