Les scandales de la télévision

Cette voix où la France ne se reconnait pas

par Dominique Pado

Lors du récent débat que le Sénat a consacré à l'O.R.T.F., à ses pompes et à ses oeuvres, un de mes collègues U.D.R. expliqua, sans rire, que « le fait, pour un téléspectateur, de payer régulièrement sa redevance témoignait suffisamment de sa satisfaction ». Il doit sans doute être pareillement admis que si le contribuable paie « régulièrement » ses impôts, ce n'est point par obligation mais pour manifester son euphorie d'être aussi magistralement gouverné !

Les roi de Télé-Pagaille

par Jean Heyras

Cela fait six lignes dans un journal. Oh ! pas un journal de combat, pas une gazette d'opposition, pas une feuille polémique. Dans France-Soir de M. Lazareff, c'est tout dire ! En date du 19 mars 1968 on peut lire ceci : « Après les dépenses engagées pour les J.O. de Grenoble, l'O.R.T.F. a décidé des économies sévères. Premières mesures : suppression des heures supplémentaires pour tous les techniciens ; plus de lavage de vitres jusqu'à nouvel ordre ; une femme de ménage sur deux le matin ! » C'est une plaisanterie, direz-vous ; un pastiche d'Alphonse Allais ! Allons ! ressaisissez-vous. Croyez-vous qu'on ait l'habitude de plaisanter à France-Soir ? Entrez un jour dans l'immeuble de la rue Réaumur et regardez les têtes. Vous aurez compris.

Une vieille dame indigne

par François Brigneau

Le spectacle quotidien de la Télévision française me rappelle souvent « L'homme, cet inconnu ». Non parce que l'homme, l'homme-téléspectateur y est en effet inconnu, au mieux ignoré de sa direction, encore que ce soit la triste réalité des choses. Mais parce que la profonde méditation du Dr Carrel sur la disproportion entre les progrès techniques et le progrès moral des hommes trouve à l'O.R.T.F. une application particulière mais tout aussi révélatrice. Un exemple l'illustre parfaitement. Le 10 juillet 1962, une fusée Thor-Delta met sur orbite un satellite artificiel : Telstar. C'est une citrouille d'un genre un peu perfectionné. Elle pèse 77 kilos. Elle fait le tour de notre monde en moins de trois heures. l5.000 pièces la composent et 3.600 cellules photo-électriques qui la recouvrent transforment en énergie électrique le rayonnement du soleil. Ainsi Telstar peut recevoir des images de la terre et les lui renvoyer.

Comment on fait sa cuisine à l’Office

par Jean Montaldo

Nul ne l'ignore à l'O.R.T.F. : nombre parmi les plus importants des coilaborateurs de la télévision usent de leur position dans la maison pour faire, dans le privé, la fortune de sociétés d 'affaires que souvent ils contrôlent et qui les appointent parallèlement. Avant d'entrer dans le détail de ces micmacs, qui ne sont qu'un aspect du grand mal endémique dont souffre l'O.R.T.F., à savoir le copinage, il faut préciser qu'ils sont en fait la conséquence du statut de faveur accordé à la plupart des têtes d'affiche du petit écran. Face aux milliers de fonctionnaires, « employés statutaires de l'Office », la quasi totalité des producteurs, réalisateurs, auteurs, animateurs réguliers des émissions télévisées appartiennent en effet au cadre des « non statutaires ». La différence entre ces deux catégories de personnel est fondamentale : si un « statutaire », qui dispose d'un salaire fixe, ne peut prêter son nom ni ses services à une firme concurrente ou privée, en revanche un « non statutaire » est libre de multiplier ses activités à l'extérieur. Payé au cachet, il est un « indépendant » qui ne profite pas moins des prérogatives que notre télévision confère à ses vedettes, grâce au stupide maintien d'un monopole de production devenu chiffon de papier.

Petit écran en rase campagne

par Antoine Blondin

La disparition du soleil à l'horizon a toujours posé aux gens de la terre, du moins à ceux qui la travaillent, le problème d'une vacance subite l'inaction s'abat sur ces êtres de vaillance. Durant seize heures au plus creux de l'hiver, huit heures au plus aigu de l'été, les voilà réduits à la tragédie des bras ballants, à cette sorte de huis clos paradoxal auquel les condamne l'espace souvent immense où ils sont enfermés, quand le jour décline. Pour la plupart, ils ont connu le temps où l'expression « économie de bouts de chandelles » n'était pas désobligeante mais traduisait ce constat que la lumière est un luxe pour qui est soudain appelé à subir, durant la moitié du temps vécu, la condition dormeuse de la taupe. Ils ont été parfois tentés de s'asseoir au coeur de cette obscurité inutile et de demeurer là, immobiles sur leurs escabeaux, à attendre on ne sait quel miracle.

Les dessous des jeux télévisés

par Charles Parent

Sans vouloir offenser personne, on est bien obligé de le constater : les jeux télévisés, pris dans leur ensemble, sont d'une stupidité, d'une ineptie et d'une insignifiance défiant l'imagination. Toutefois, si l'on considère que la télévision est essentiellement destinée à abrutir les Français et à les mettre en condition pour avaler toutes les couleuvres pompidoliennes, les promoteurs de jeux à la télé ont parfaitement compris ce qu'on attendait d'eux. Sur ce plan-là, c'est incontestablement une magnifique réussite. Les dirigeants de l'Office le leur rendent d'ailleurs bien : ils leur ont accordé le monopole des jeux télévisés et si vous ne vous appelez pas Antoine, Bellemare, Lux ou Jammut, il est inutile d'espérer pouvoir faire joujou sur le petit écran. Car c'est un fait : les jeux à la télévision sont réservés en exclusivité à une poignée de petits génies, ce qui laisserait croire que, sur 51 millions de Français, il en existe seulement une demi-douzaine qui soient capables - ou dignes - de jouer au lexicon ampexé.

Télé-Mafias

On ne peut comprendre l'état d'esprit qui règne à la télévision si l'on ne sait qu'elle est entre les mains de deux grandes « mafias » : la mafia U.D.R. et la mafia cégétiste. Trustant les postes-clés et les positions en embuscade, faisant la loi, la pluie et le beau temps, ces deux familles se partagent le fromage, tolérant quelques cousins, mais ne laissant que les miettes à ceux qui ont l'outrecuidance de demeurer à l'écart. Voici d'ailleurs la photographie en pied de ces deux belles associations (à but très lucratif) :

Les folles journées de mai 68

La grève de l'O.R.T.F. - la plus longue des grèves de Mai 1968, puisqu'elle dura sept semaines - et ses conséquences - licenciements, mutations, réintégrations - ont fait couler beaucoup d'encre et suscité bien des commentaires. Et pourtant, faute de témoignages précis, sa réalité « vécue » demeure fort méconnue. Pour des dizaines de communiqués officiels et de mises au point, combien de discussions secrètes et de palabres privées, de retournements insolites et de trahisons imprévues, de rigueur et de farce, de courage et de lâcheté. Dans le grand bouillonnement de l'époque, les masques sont tombés, les vrais visages sont apparus, graves ou comiques, réfléchis ou cabotins. Aujourd'hui, bien des acteurs de cette tragi-comédie ont repris leurs rôles de composition et leurs têtes de circonstance. Aussi certains rappels ne manquent-ils pas de « piquant » et sont-ils, à bien des égards, salutaires. « Le Crapouillot », qui, grâce à un observateur (et à un magnétophone), vécut en direct les différents épisodes de cette grève, se fait un (malin) plaisir de rafraîchir quelques mémoires et de préciser quelques conduites.

Les Télé-gaspilleurs

par Olivier Dalmont

Il est deux choses qui, à la Télévision, s0nt aussi secrètes que les comptes numérotés dans les banques suisses, aussi impénétrables que les desseins de la Providence et aussi jalousement gardées que les perles de la couronne, ce sont les coûts réels des émissions et leurs indices-d'écoute. Les « coûts » des émissions comprennent les frais de programmes (cachets versés aux comédiens, réalisateurs, producteurs ; frais de mission ; location de meubles, accessoires et costumes ; primes d'inédits des auteurs) et les frais techniques. Ensemble, ils représentent la quasi-totalité des dépenses engagées pour la réalisation d'une émission, à l'exclusion des frais de diffusion, c'est-à-dire l'utilisation des émetteurs.

Télé-père Télé-fils

Comment entrer à la Télévision ? Question ardue s'il en est, car la maison passe pour très fermée. On n'entre pas à la Télévision comme on entre à la S.N.C.F. Les diplômes ne suffisent pas, il faut encore de la chance. Ou des relations. Mais, une fois dans la place, on se sent vite « en famille ». Tant et si bien que le (ou la) célibataire ne rêve plus que de trouver chaussure à son pied dans cet excellent milieu et que l'époux (ou l'épouse) n'ambitionne plus que de faire une petite place à son conjoint. Voilà pourquoi l'O.R.T.F. est le paradis des couples. Partant du principe qu'il vaut mieux avoir quatre pieds dans la Maison qu'un seul, ces messieurs-dames savent merveilleusement se donner la main ou se pousser du coude. Même séparés de coeur ou de corps, ils n'en continuent pas moins à se rendre ces menus services qui entretiennent l'amitié - et la prospérité.

Les trucs des Dossiers de l’écran

par Serge de Beketch

" Pour obtenir S.V.P., composez... etc. ". Chaque mercredi soir, le bel Alain Jérome répète son leitmotiv - quand il n'est pas plaqué en surimpression sur le seul moment palpitant du film. Puis, avec son sourire de Brummel du prêt-à-porter, il présente les participants aux débats d'une des émissions les plus suivies de la 2e Chaîne : « Les Dossiers de l'écran » (production d'Armand Jammot). Une des plus suivies mais aussi une des plus truquées. Tout, en effet, aux « Dossiers », concourt à endormir le téléspectateur moyen, à détruire son esprit critique. Tout est pesé, trié, choisi pour correspondre à la devise de notre Télévision nationale : « Surtout, pas de vagues ». Les films d'abord , qui semblent pour la plupart tirés des poubelles des producteurs, payés au poids de la pellicule et projetés pour la dernière fois avant d'être transformés en vernis à ongle. Leur médiocrité est telle qu'elle n'échappe même pas aux médiocres. « Nous avons vu de bien mauvais films cet été », avouait Joël Le Theule, à l'automne 1968, du temps que de Gaulle lui laissait croire qu'il était ministre de tutelle de la Télévision. li faisait allusion aux « Dossiers de l'Antiquité », série d'émissions remplaçant les « Dossiers de l'écran » en vacances.