La culture populaire a engendré nos plus belles conquêtes culinaires, comme le fromage et les charcuteries. C’est pourquoi on peut retrouver sur différents continents les mêmes plats, inventés indépendamment. La gastronomie, elle, est le fruit d’une réflexion sur le plaisir et la santé qui remonte à l’Antiquité.
5 000 ans de cuisine
Massimo Montanari
Quand l’art passe à table
Depuis toujours, la cuisine raconte la vie, la mort, le destin, comme nulle autre activité humaine. « Je mange, donc je pense », aurait pu écrire Descartes. Les écrivains, les peintres ou les cinéastes sont les meilleurs chroniqueurs de notre rapport au goût et de ses transformations. Et si la gourmandise était un péché artistique ? Réponse en dégustant ces délicieuses miscellanées culinaires.
Dans les cuisines de Sumer
Bouillon de gazelle, oiseaux au vinaigre et à la bière, cuisses de pigeon rôties à l’ail... La découverte récente de tablettes babyloniennes a levé un coin du voile qui recouvrait les pratiques culinaires de la Mésopotamie antique. Même si nous ne connaîtrons jamais vraiment le goût des mets du berceau de notre civilisation, nous en savons davantage qu'avant sur la plus vieille gastronomie du monde, ses 300 variétés de pain et ses fameux ragoûts. On en retrouve aujourd’hui le parfum dans la cuisine de Bagdad.
Le buffet des dieux
Sans l’Amérique, les Européens ne cuisineraient ni la tomate ni la pomme de terre. Sans la Chine, les Indiens ne boiraient pas de thé. Sans les Éthiopiens, les Italiens ne siroteraient pas de café… L’histoire des cuisines est celle de l’incroyable échange gastronomique auquel se livrent les peuples depuis des millénaires. Porté par le mouvement des empires, bien sûr, mais aussi et surtout celui des religions. Ce sont elles qui ont décidé de la consommation du sang, de l’alcool et des gaufres.
L’ustensile fait l’homme
On l’oublie souvent, mais les accessoires de cuisine comptent parmi les innovations les plus décisives de l’histoire de l’humanité. L’invention de la marmite a rendu possible la civilisation agricole, et le perfectionnement du couteau est à la base de toute notre gastronomie.
L’âge d’or de la cuisine anglaise
Non, la cuisine n’a pas toujours été le point faible de nos voisins d’outre- Manche ! Appauvrie et dégradée au siècle dernier du fait de longues pénuries, la gastronomie britannique excellait au Moyen Âge. De vieux livres de recettes et des vestiges archéologiques nous aident à reconstituer le faste de cette époque.
Mais où sont passés les festins d’antan ?
Pendant des siècles, sinon des millénaires, le banquet a été l’apanage des puissants. Souvent extravagant, parfois mâtiné de sadisme, il permettait aux grands de ce monde d’afficher leur pouvoir. Il s’est civilisé et humanisé au siècle des Lumières, pour gagner la bourgeoisie puis l’ensemble de la population, convertie au dîner doté d’un certain cérémonial. Le goût des repas pris sur le pouce a-t-il eu raison de cette tradition ?
Petite révolution sous la monarchie
Au XVIIe siècle, l’aristocratie française découvre la campagne et le bon goût du naturel. Rompant avec les théories pseudo-médicales de la cuisine antique, la gastronomie se donne dès lors pour tâche d’exalter la saveur spécifique de chaque ingrédient. Symbole de ce bouleversement : le légume est enfin mis à l’honneur.
Le camembert
Un Big Mac à la française
Les métamorphoses du hamburger
Quelle épopée que celle du hamburger ! Sans doute né du dégoût des émigrants allemands voguant vers l’Amérique pour le brouet servi à bord, il sera, au terme du voyage, transformé en infâme produit industriel fabriqué à la chaîne. Mais l’histoire continue. Tandis que les ventes de McDonald’s reculent, les gourmets du monde entier récupèrent en le réinventant le sandwich le plus vendu et le plus mal famé du monde.
La radieuse cuisine soviétique
Une pellicule immonde se formait sur la mayonnaise dès qu’on ouvrait la boîte, on faisait la queue pour acheter un seul article par personne et le yaourt était inconnu. Mais la propagande soviétique invitait au rêve gastronomique. Un célèbre livre de cuisine familiale enseignait ainsi l’art de préparer les bécasses, les poires au xérès ou les aspics d’esturgeons… Cet idéal culinaire d’une société socialiste accomplie séduisait étrangement des Soviétiques confrontés chaque jour à la pénurie de tout.
La Mère Brazier
Dans les années 1930, à Lyon, une simple fille de ferme se hisse au niveau des plus grands chefs français avec sa poularde demi-deuil et ses fonds d’artichaut au foie gras. Première femme à recevoir trois étoiles au Michelin, elle devient une icône de la gastronomie. L’Aga Khan, Marlene Dietrich, de Gaulle mangent à sa table. Paul Bocuse fera chez elle ses premières armes. Une réussite aux allures de conte de fées qui transporte dans un pays imaginaire, la France authentique d’autrefois.
Comment la France a regagné son pain
Au XVIIIe siècle, les Anglais commencent à lui préférer le sucre et les Italiens, les pâtes. Mais le pain reste en France un aliment sacré, dont la fabrication justifie de réduire en esclavage les boulangers et leurs apprentis. Le goût du bon pain a pourtant bien failli disparaître après guerre, quand les produits industriels ont conquis le pays. Une nouvelle génération de boulangers réinvente aujourd’hui le métier avec des baguettes délicieusement croustillantes, à la saveur de noisette.
Végétarisme et bouillon de poule
Le gourmet d’antan affichait, face à un plat de légumes, à peu près la même mine que l’enfant moyen. Tristes et moralisateurs, les livres de recettes végétariennes auraient donné des envies de steak à un boeuf. Mais l’époque où le haricot était meilleur pour la santé que pour les papilles est révolue. Les cuisiniers amoureux des plantes réconcilient aujourd’hui les herbivores avec le plaisir gustatif et même… la viande. Un petit bouillon de volaille n’a jamais fait de mal à un risotto aux chardons, non ?
Manger avec Cro-Magnon
Ne le dites pas aux derniers chasseurs-cueilleurs, mais la Californie est la Mecque de leur mode de vie. Alimentation saine, sexualité libre et exercice, voilà une vie de rêve pour le mouvement paléo, dernier avatar de la course contemporaine au naturel. Ses adeptes, réfractaires à tous les aliments transformés, n’ont pas la vie facile. Mais la gastronomie a fini par leur sourire. Après un bon bouillon d’os, ils peuvent maintenant se consoler avec un millefeuille authentiquement préhistorique.