Pays à 90 % musulman, le Bangladesh admet la prostitution des plus de 18 ans et tolère de facto celle des mineurs. En la matière, la planète est une constellation de règles et de pratiques différentes, qui compliquent singulièrement l’exercice du jugement moral. Ce vieux problème en éclaire de plus récents. Spécialiste de philosophie politique, l’Américain Michael Sandel a publié un livre important dans lequel il s’inquiète de voir les pratiques marchandes contaminer une fraction croissante des relations entre les hommes. Pour étayer son propos, il se concentre sur les pratiques légales, mais en évoque aussi d’illégales, comme le marché du rein. Beaucoup sont révélatrices mais anecdotiques : l’achat d’une place dans une queue, d’un discours tout préparé à l’occasion d’un mariage... Plus problématique : l’achat d’une assurance vie sur la tête d’une personne âgée, la location d’une cellule de prison de catégorie supérieure... Mais le symbole le plus frappant de cette évolution est sans aucun doute l’autorisation, aux États-Unis, de la location d’utérus. La revendication et la justification de la gestation pour autrui, moyennant finances, sont un sujet de réflexion considérable, au cœur de l’évolution de nos sociétés. Nous avons demandé à la juriste française Muriel Fabre-Magnan, auteure d’un livre critique sur le sujet, de développer ses arguments. Michael Sandel appelle les citoyens à prendre conscience des dérives actuelles et à se ressaisir. On peut, comme le Canadien Michael Ignatieff, y voir un vœu pieux, faisant l’économie d’une théorie politique digne de ce nom. On peut aussi y déceler une méconnaissance des travaux des économistes, ou la naïveté d’un philosophe qui se voile la face. Mais c’est un débat d’une grande richesse, qui vaut d’être lancé en France, dans toutes ses dimensions.
L’argent peut-il tout acheter ?
L’argent peut-il tout acheter ?
Ce que la marchandisation abîme
On peut aujourd’hui souscrire une assurance vie sur la tête d’une personne âgée, se payer une cellule de prison de catégorie supérieure, ou louer un utérus pour se doter d’un enfant… Cette multiplication des usages dévoyés de l’argent avilit tout ce que l’on acquiert ainsi, abîme les valeurs morales et aggrave l’effet des inégalités. Car plus l’argent peut acheter, plus la richesse importe.
Un lamento sans vision politique
Michael Sandel a raison de dénoncer la montée en puissance de l’argent dans des domaines inattendus de la vie privée et plus encore dans la gestion de services publics naguère assurés par l’État. Mais son appel à stimuler la vertu, comme s’il s’agissait d’un muscle, est stérile. Il lui manque l’analyse historique et la théorie politique capables de changer le cours des choses.
Éloge des économistes
Michael Sandel fait erreur sur toute la ligne. Non seulement les incitations financières peuvent se révéler fort utiles quand l’altruisme ne suffit pas à motiver les individus, sans pour autant éliminer toute forme de désintéressement, mais le marché a joué un rôle majeur dans le développement de la morale sociale et de la démocratie.
Plaidoyer pour un marché du rein
Nul ne veut d’une société où tout est à vendre. Mais quand des milliers de personnes meurent dans l’attente d’un rein, il est criminel de préférer les principes abstraits à la solution concrète qu’offre l’échange marchand.
“L’enfant devient un produit qu’on commande ”
Le corps humain n’est pas à vendre, ni à louer. Pourtant, la pratique se répand de payer une mère porteuse pour faire un enfant, en particulier aux États-Unis. Soutenue par de beaux esprits, l’idée d’une « gestation pour autrui éthique » est une fiction dommageable aux parents d’intention, à la mère porteuse et à l’enfant.